Le début est assez éloquent, après avoir contemplé Cuba vu du ciel ainsi que ses belles côtes au bord de la mer, on découvre Cuba sous l'emprise du régime de Batista, un Cuba gangrené par l'argent des américains capables de tout acheter, même les humains.
La première partie met très bien en valeur cet aspect-là, Kalatozov, marchant sur les pas d'Eisenstein, nous immerge au cœur d'un bar où le jazz est chaud et torride pendant que des riches yankees payent pour s'amuser avec des prostitués. Tout est déjà dans cette première partie, la virtuosité de Kalatozov derrière la caméra l'ambiance oppressante ou encore les propos visant à montrer la lente déchéance du Cuba de Batista, rendant salutaire la prise du pouvoir de Castro. Dans l'ensemble les quatre parties sont des claques, chacune nous montrant un des aspects de ce Cuba pré-Révolution, que ce soit dans le monde agricole, dans celui étudiant ou chez les rebelles.
La première claque est d'abord esthétique où Kalatozov déborde d'idées ingénieuses et nous offre une symphonie visuelle éblouissante. Sa caméra virevolte avec grâce et poésie tandis qu'il retranscrit à merveille l'atmosphère oppressante, le vent de liberté et le ras-le-bol du peuple cubain. Ces plans-séquences sont parfois exceptionnels, à l'image de ceux qu'il compose caméra à l'épaule et sa virtuosité (à laquelle on peut ajouter son jeu d'ombres et de lumières ou ses cadrages permettant de nous offrir des images marquantes) n'est jamais trop lourde, bien au contraire, elle est éblouissante et sert au mieux son atmosphère et permet de mieux nous immerger au cœur des bas-fonds de Cuba, bien aidé par une très belle photographie.
S'il retranscrit si bien cette atmosphère, c'est aussi car il met bien en valeur ses propos. Comme beaucoup d’œuvres d'Eisenstein, Soy Cuba dépasse le simple cadre du film de propagande et, à travers ces quatre histoires, dresse un triste bilan de la politique de Batista. Kalatozov ne se contente pas de faire un portrait glorieux de Castro, bien au contraire même, il en fait un émouvant témoignage d'une époque où les gens de pouvoirs, donc qui ont l'argent (ce qui va ensemble dans cette société, comme maintenant), et ce qu'il soit cubain ou américain de passage, profitaient du désespoir du peuple. Il s'en prend surtout à la politique capitaliste américaine où les plus démunis sont de suite condamnés, et, peu à peu, il met la révolution en marche où, en s'attardant sur quelques destins individuels, il donne aussi une dimension tragique et bouleversante à son récit.
À travers quatre portraits dans la société cubaine de Batista aux heures où la révolution est de plus en plus proche, Kalatozov retranscrit toute l'émotion, la pertinence et les réflexions de son récit, et ce, avec une virtuosité technique éblouissante et servant avant tout l'immersion au cœur de ce peuple ainsi que l'atmosphère oppressante et bouleversante.