Heureusement, j'ai revu les trois premiers Indiana Jones ces derniers temps. Heureusement, car cette re-vision (révison ?) des aventures de l'ersatz spielbergo-lucasien de Tintin m'a permis de dissiper l'aura créée par le souvenir autour de ces trois films, et donc d'en réévaluer les charmes indéniables mais aussi les évidents défauts.
Pour les premiers, citons un irréalisme tranquillement assumé (traverser l'océan accroché à un sous-marin, sauter d'un avion avec pour parachute un canot de sauvetage), une autodérision des personnages, et notamment du héros affublé d'un nom de clebs et victime d'herpétophobie handicapante, ou encore un sens du rythme symbolisé par la ritournelle péplumique de John Williams.
Du côté des défauts, on trouve justement l'exacerbation de ces mêmes qualités, ce jusqu'au-boutisme qui fait que l'éternel ado qu'est Spielberg ne sait pas s'arrêter, et qui conduit au too much. Pas étonnant donc que cette hyperbolisme soit particulièrement visible dans "Le Temple Maudit", avec la déclinaison jusqu'à la nausée de la gastronomie gore des hindous, ou l'interminable scène de la cérémonie sacrificielle dans les entrailles de la Terre, puisque ce deuxième épisode est aujourd'hui renié par Spielberg et Lucas. Mais ce mauvais goût pubertaire et cette absence de mesure étaient aussi perceptible dans les deux autres films de la première trilogie, notamment dans le recours au salmigondis bliblico-ésotérique qui justifie allégrement les pires incohérences scénaristiques.
Ce long préambule pour prévenir que je ne ferai pas partie de la cohorte des partisans du "C'était mieux avant". Ce n'était mieux que parce qu'ils avaient 28 ans de moins quand ils ont découvert le héros au fouet et au borsalino, et que depuis, 28 ans de cinéma d'action et d'effets spéciaux 3D sont venus brouiller leurs souvenirs.
Non, au contraire, la qualité essentielle -et en contrepartie sa principale limite - de cet "Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal", c'est la fidélité au cahier des charges canonique. On retrouve en effet dans ce film tous les ingrédients de la recette qui avait fait le succès des premiers épisodes.
Une vingtaine d'années a passé, pour justifier les rides sur le visage d'Harrisson Ford. Au titre de la guerre froide, les nazis ont laissé leur place au nouvel ennemi de l'Amérique, les soviétiques du KGB qui se déplacent en colonne blindée aux USA ou au Pérou avec encore plus de facilité que les apprentis pilotes d'Al Qaida, et qui sont commandés, parité oblige, par une commissaire politique médiumique "chouchoute de Staline" incarnée par une Cate Blanchett en roue libre. Cet anticommunisme primaire se voit équilibré par une dénonciation du maccarthysme dont est victime Indy lui-même, malgré ses années de service dans l'OSS, et qui l'amène à constater : "De nos jours, on peut même douter de nos amis".
Le conflit père-fils, si cher au cinéma hollywoodien, et qui avait si bien marché avec l'opposition entre Harrisson Ford et Sean Connery, saute ici une génération, puisqu'Indy se découvre un fils (dans ce qui est sans doute la meilleure scène du film). Il se murmure aussi que Shia LeBoeuf, qui campe cet Henry Jones III, pourrait être le héros d'une nouvel trilogie, son paternel ne pouvant pas enchaîner les cascades pendant encore vingt ans.
On retrouve aussi pêle-mêle des passages secrets dans des cryptes couvertes de toiles d'araignées, des croquis mystérieux qui servent d'indices pour le jeu de piste, des courses-poursuites au bord de précipices abyssaux, des bébêtes grouillantes : scorpions, fourmis et bien sûr serpents, et des déplacements intercontinentaux représentés par un trait rouge avançant sur une carte se superposant à des images d'avion.
Plus encore que dans les films précédents, le n'importe-quoi mystico-historico-ésotérique permet de remplacer un scénario construit, et cette fois on fait appel à la légende des crânes de cristal, inventé au milieu du XIX° siècle par un faussaire français, au mythe de l'Eldorado, à la créature de Roswell et aux cousins du troisième type d'E.T.
Du fait du respect si scrupuleux du canon indianesque, les surprises sont rares, et "Indiana Jones et le Royaume des Crânes de cristal" peut se regader plus dans la recherche de ces correspondances et de ces auto-citations, que pour son intrigue franchement prévisible. On peut aussi s'amuser à repérer les autres emprunts : la plaine désertique de "La Mort aux Trousses", les ados en caisse rutilante d'"American Grafitti", ou le motard à casquette de "L'Equipée sauvage".
Une autre qualité de cette fidélité réside dans le courage de tourner un film d'action en 2008 sans succomber à la mode du montage clipesque et de la débauche d'effets 3D. C'est filmé "à l'ancienne", dans des décors qui ne sont pas des incrustations sur des fonds bleus, et le traveling aérien remplace avantageusement le montage stroboscopique.
Resteront sans doute aussi quelques scènes qui enrichiront le musée des adorateurs du prof d'archéologie (à mi-temps), comme cette façon si réaliste de survivre à une explosion nucléaire, ou la poursuite à moto dans les locaux de l'université du Dr Jones. Pour les afficionados débarassés d'une nostalgie superfétatoire, ce sera sans doute suffisant pour leur faire adopter ce nouvel avatar de la saga. Pour un spectateur novice dans cet univers, les incohérences scénaristiques et les longueurs -paradoxalement particulièrement sensibles dans les scènes d'action -, risquent d'être rédhibitoires.
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