Aujourd'hui, John Reed est l'unique Américain enterré sur la place rouge dans la nécropole du mur du Kremlin. D'ailleurs Lénine a lui-même signé la préface de son livre "Dix jours qui ébranlèrent le monde" où il revient sur la révolution bolchevique de 1917 qu'il a vécu sur place. Né le 22 octobre 1887, ce journaliste américain a œuvré contre la guerre et surtout pour les ouvriers, défendant le système soviétique aux USA et œuvrant pour le communisme. Il a aussi été marié à l'écrivaine féministe Louise Bryant.
"Reds" revient sur sa vie de manière romancée et se concentrant sur la période située entre l'entrée en guerre des USA en 1917 et la mort de Reed. De manière générale, "Reds" revient sur une période et sur des thèmes très peu traités par le cinéma américain à savoir la révolution bolchevique ainsi que sa vision sur le territoire américain. Warren Beatty endosse les casquettes de réalisateur, acteur principal, producteur et coscénariste.
À travers cette longue fresque, Warren Beatty nous passionne et nous plonge dans la vie de John Reed entre ses idéaux, sa vision du monde et de la vie, ses relations et son amour. Warren Beatty propose un regard sur les radicaux américains du XXème siècle et une certaine fascination pour la mise en place de la révolution bolchevique ainsi que la fondation de l'URSS. Il s'attarde sur l'espoir d'un changement et d'une autre vision que le système capitaliste américain. Mettant en scène les conflits politique et idéologique des USA de ce début de siècle, il s’intéresse aussi sur la vision "américaine", là où "communiste" est une insulte, comme en témoigne cette scène de procès avec Louise Bryant. Mais Beatty insiste aussi dans la dernière partie du film sur la dérive du système bureaucratique mis en place après la révolution en Russie.
Pour mettre en scène son récit, Warren Beatty a l'ambition de jouer sur plusieurs tableaux en même temps. Tout en étant une longue fresque, il s'attarde sur l'aspect politique du film, tout en donnant de l'importance à sa vie sentimentale et en y ajoutant quelques témoignages donnant un côté documentaire au film. Et Beatty la maîtrise à merveille, sachant alterner entre le combat de Reed, sa relation avec Louise ainsi que les témoignages qui sont bien gérés, intéressants et ne cassant par le rythme du récit.
Il s'appuie effectivement sur une grande richesse d'écriture que ce soit au niveau de la vie de John Reed ou des personnages qu'il met en scène. Ils sont tous intéressants et psychologiquement étudiés, et notamment le couple principal qu'il rend attachant, tout comme la relation qu'ils entretiennent, fragilement intense et bouleversante. Il place Reed et Bryant face à la vie et les choix qui en découlent, leur laissant la possibilité de vivre ensemble ou de garder leur liberté et de vivre dans le feu de l'action, conscient de participer à des événements importants et uniques avec toujours cette peur de "manquer le train". Mais c'est aussi à travers les personnages secondaires qu'il donne de la consistance à son récit et notamment l'écrivain cynique Engene O'neill ou le communiste américain Max Eastman.
On ne s'ennuie pas une seule seconde durant les 184 minutes du film. Beatty retranscrit très bien toute la richesse et les enjeux du récit, les rendant tour à tour passionnant, poignant, profondément émouvant et intelligent. Toujours avec un souci de réalisme, il prend le temps de développer les personnages, de mettre en place plusieurs scènes intimistes mais ô combien intéressante et traitée avec justesse et de se concentrer sur ce qui l’intéresse.
Visuellement "Reds" est superbe et ce grâce à une belle photographie ainsi qu'à une excellente reconstitution, que ce soit les intérieurs où Beatty a le souci du détail ou les extérieurs et notamment en Russie ou lorsque le couple principal est chez l'écrivain au bord de la plage. Devant la caméra, Beatty, lui-même militant de gauche, donne une certaine consistance à son personnage et a eu l'excellente idée de confier le rôle de Louise Bryant à la superbe Diane Keaton, ici de toute beauté et superbe dans le rôle de cette intellectuelle féministe. Jack Nicholson, Stuart Richman, Paul Sorvino ou encore Gene Hackman complètent un casting sans fausse note.
Véritable ode à la liberté politique et de pensée, "Reds" revient sur un épisode méconnu de l'histoire américaine. Tout en justesse et subtilité, Warren Beatty signe un récit aussi intelligent que bouleversant autour des convictions d'un homme à vouloir changer un système qu'il considère comme défectueux tout en le plaçant face à la vie et les dilemmes qui en découlent, notamment ceux sentimentaux.