« Ah voilà, voilà, vous mettez le doigt sur la plaie de votre époque. On apprend tout au XXème siècle, sauf l’amour. »
Yves Robert, c’est avant tout la capacité de capter les mouvements pour leur donner corps. Ce n’est par hasard que Pierre Richard lui doit une partie de ses lettres de noblesse. Dans ce tout premier film, complètement oublié, il donne d’ailleurs le ton d’entrée de jeu avec la scène des pieds qui parviennent à en dire autant que des acteurs entiers. Une petite prouesse.
Avant ce film, Yves Robert a d’abord été comédien, de théâtre et de cabaret, puis acteur, notamment pour Marcel Carné ou Henri Decoin. En 1954, il se jette à l’eau et réalise son premier film, assisté par Claude Sautet, qui l’assistera encore en 1958 dans Ni Vu, Ni Connu, et deviendra un de ses fidèles amis.
A la distribution, on retrouve Jean Bellanger (aussi scénariste ici), Jean-Marie Amato et Louis De Funès (dans un rôle assez secondaire) qui seront de nouveau réunis 4 ans plus tard dans Ni Vu, Ni Connu, Catherine Erard, à la carrière courte, Louisa Colpeyn, actrice trop rare (et mère de l’écrivain Patrick Modiano) et toute une série de seconds rôles à leurs débuts, dans des rôles multiples, comme Rosy Varte, Jacques Hilling, Jacques Morel, Guy Pierauld, Jacques Legras, Yves Robert lui-même.
La narration est avant tout une série de saynètes très courtes et burlesques, Don Juan ayant entrepris d’enseigner l’art de la séduction par l’exemple à Alfred/Coeur à la Crème, incorrigible timide, amoureux secret de Nicole, la crémière. Le talent d’Yves Robert y est déjà déployé, notamment à travers l’insertion d’un split screen, méthode rare à l’époque même si elle date de l’invention du cinéma ainsi que d’artifices déjà utilisés par Méliès en son temps. De l’histoire du cinéma, de la comédie cinématographique, plutôt, Yves Robert emprunte d’ailleurs, comme il le fera dans son film suivant mais avec moins d’importance, les codes du slapstick et plus généralement du burlesque, tels qu’on les retrouvera dans les Tex Avery ou dans les BD de Gotlib (Rubrique-à-Brac et Dingodossiers). Enfin, le personnage d’Alfred préfigure, lui, le personnage distrait, timide et gaffeur que créera Pierre Richard, sur les conseils d’Yves Robert qui le fera tourner dans son Alexandre le Bienheureux (1968) et le lancera à réaliser ses propres films avant de le retrouver pour Le Grand Blond avec une Chaussure Noire (1972). Le deuxième film réalisé par Pierre Richard, burlesque, s’intitule d’ailleurs Les Malheurs d’Alfred.
Si l’on excepte l’aspect harcèlement de rue figuré par « les marcheurs » et quelques autres moments qui seraient aujourd’hui malaisants (n’oublions pas que nous sommes en 1954), on reconnaîtra que cette comédie de mœurs légère, truffée de gags inégaux, certains assez plats, d’autres très drôles, jusqu’à l’apothéose finale, est une entrée en matière intéressante, et réussie, dans l’univers dense d’Yves Robert.