Perdu dans les brumes ou la pluie des rues de Florence, l’amour impossible et tragique entre un jeune paumé sans le sou et une prostituée de luxe, débouche, dans une maison close à l’ambiance oppressante, sur une tragédie inévitable de par un carcan social à la fois répressif et écrasant.
Jamais Claudia Cardinale (Bianca), mélange d’attirance et de répulsion, de passion et de froideur n’a atteint un tel niveau de grâce distanciée. En permanence au bord du gouffre, réminiscence d‘un passé trouble et mystérieux, elle entraine dans cet équilibre précaire sur le fil du rasoir, un Jean Paul Belmondo (Amerigo), épatant, jusqu’à sa chute inévitable. Parallèlement, l’étude de « la maladie de la terre » dont les paysans sont victimes et à laquelle veut échapper Amerigo devenu le souffre douleur d’un père ivre d’ambition terrienne et que la maîtresse de son frère, un marchand de vin florentin aussi cupide que pervers incestueux, finira par anéantir en spoliant totalement le reste de la famille, offre un côté chirurgical d’une précision implacable. Entre ce couple à la laideur infernale, aussi intérieure qu’extérieure, interprété respectivement par Marcella Valeri (Beppa) et Paul Frankeur (Nando) et la beauté à la froideur indifférente du bordel de luxe et de ses clients, le monde de LA VIACCIA selon Bolognini retranscrit bien la décadence morbide de cette fin de siècle.
Illustré par la magnifique pellicule de Leonida Barboni et un choix musical exceptionnel (Claude Debussy), le film bénéficie d’un montage parfait de Nino Baragli, permettant un mariage réussi de la mise en scène élégante de Bolognini avec la passion et la violence. Seule ombre au tableau, l’épisode anarchiste, s’il trouve une justification politique, semble plaqué sur cette double tragédie. Dommage, car le cinéaste rate de peu un chef d’œuvre.
Exécuté très sommairement à sa sortie par une critique qui ne l’avait majoritairement pas compris et résumé à un mélodrame voyeuriste avec bas, jarretelles, corsets et décolletés suggestifs, LA VIACCIA demeure un film injustement méconnu.