Le film est tiré d'une pièce de Clifford Odets initialement montée par un ami de Robert Aldrich, John Garfield, en 1949. Jean Renoir la met également en scène en 1957.
Le Grand couteau est une charge extrêmement virulente contre Hollywood, et une véritable catharsis pour son réalisateur, qui y dénonce la manière dont l'industrie hollywoodienne digère les talents, les formate, les contraignant insidieusement à abandonner tout discours contestataire. L'occasion pour lui d'évoquer sans complaisance ses propres renoncements, à travers le personnage de Charlie Castle (Jack Palance), figure brisée qui a fait le deuil de ses idéaux.
Description sans fard du monde du spectacle, de la corruption, du diktat du pouvoir... Autant de thèmes-leitmotive dont sa filmographie se fait l'écho persistant.
" Mon producteur est une synthèse de Louis B. Mayer, Jack L. Warner et Harry Cohn. Le sujet s'applique à n'importe quel milieu, dans les arts ou les affaires, partout où la liberté naturelle de l'homme, sa possibilité de s'exprimer, sont entravées par des dirigeants sans valeurs et tyranniques " déclara Robert Aldrich.
Fasciné -et écoeuré- par la mécanique du pouvoir, il décortique ici les rapports de domination qui menacent la liberté de chacun, comme il le fera par la suite dans d'autres films, quels qu'en soient les sujets.
Après Le Grand couteau, la volonté d'indépendance d'Aldrich le poussa à devenir son propre producteur. Malgré quelques difficultés, deux succès (Qu'est-il arrive a Baby Jane?, et Les Douze Salopards) lui permirent même de devenir le seul réalisateur à posséder ses propres studios.
Robert Aldrich prendra ce milieu, selon lui voué au culte du profit et du pouvoir, pour cible à plusieurs reprises. Outre Le Grand couteau, Le Démon des femmes, Qu'est-il arrive a Baby Jane?, ou encore Faut-il tuer sister George le prennent pour cadre. Mais s'il stigmatise les turpitudes de l'industrie du cinéma, Aldrich n'oublie pas pour autant de rendre hommage, par des allusions, à ceux qui résistent. Chacun de ces films assume d'ailleurs l'héritage d'Eve, de Joseph L. Mankiewicz, auquel Aldrich se référait souvent.
Les frères Coen, pas plus tendres à l'égard d'Hollywood, s'inspireront de la vie de Clifford Odets pour Barton Fink (Palme d'or 1991), dans lequel le dramaturge est incarné par John Turturro.
Le parcours de Clifford Odets ne pouvait qu'éveiller l'intérêt de Robert Aldrich. Dénoncé par Elia Kazan (qui joua dans ses pièces) en 1953, en pleine psychose maccarthyste, le dramaturge fut convoqué par la commission des activités anti-américaines. Il déclara alors n'avoir jamais subi l'influence du P.C., mais avoir nourri son travail d'une profonde empathie pour la classe ouvrière.
Robert Aldrich, pour sa part, était héritier d'une riche famille de banquiers, et cousin des Rockfeller, mais rompit les liens avec cette lucrative ascendance pour entrer à la RKO en bas de l'échelle. "Je crois -je suis même sûr-, affirma-t-il (Positif, n°182, juin 1972), que si j'étais arrivé en Californie en 1936 et non en 1941, je serais entré au parti. (...) Je pense que toute personne sensée était destinée à cette époque à devenir communiste. (...) En 1941, ceux qui se reconnaissaient dans cette idéologie étaient de toute évidence les plus intelligents, les plus rapides, les meilleurs, ceux avec lesquels il était le plus stimulant de travailler". Ainsi Aldrich n'hésita-t-il pas à engager Dalton Trumbo, célèbre "blacklisté", comme scénariste, pour El Perdido.
Le Grand couteau marque les débuts d'une collaboration entre le réalisateur et son acteur principal qui se poursuivra l'année suivante avec Attaque, puis en 1959 avec Tout près de Satan.
Le Grand couteau fut couronné par un Lion d'argent au festival de Venise, en 1955.