Un des fruits les plus étranges de l’éphémère printemps de Prague, qui a tout juste eu le temps d’être achevé avant que les chars soviétiques ne s’installent en Tchécoslovaquie en 1968. Il s’agit d’une sorte de fable satirique et surréaliste macabre, avec une mise en scène très insolite, des décors et un style baroques. La cible manifeste du film est l’idéologie raciste nazie, mais celui-ci est si profondément perturbant et subversif qu’il n ‘est pas surprenant qu’un régime communiste stalinien orthodoxe ait été suffisamment inquiet pour l’interdire. Notre incinérateur est un chef de famille bienveillant et onctueux, une sorte de mystique pervers, que l’idéologie raciste mène en toute générosité au crime, y compris envers sa proche famille. Le racisme idéologique criminelle (et, on peut généraliser, toute idéologie totalitaire) comme le comble du soin chiropracteur, en quelque sorte.
Un Noir et Blanc somptueux, des cadrages inspirés, un personnage principal terrifiant de naïveté criminelle, une idée de mise en scène par plan... Formidable choc esthétique du cinéma tchèque, L'Incinérateur de Cadavres est une oeuvre à réhabiliter d'urgence. Injustement méconnu ( peut-être en raison de la censure prolongée qu'il dut subir ), le film de Juraj Herz dépeint la montée du nazisme comme une atrocité baroque, non dénuée d'une certaine poésie morbide, avec ce mélange d'élégance non feinte et d'aveuglement moral de son protagoniste. Si ce morceau de cinéma est une prouesse stylistique indiscutable, les thèmes véhiculés font littéralement froid dans le dos : aspiration néfaste à un idéal de pureté, éradication des différences sous toutes leurs formes - incroyable scène où le père de famille tue son propre fils qu'il juge trop mou et féminin - et raffinement artistique flirtant avec l'indécence sont autant d'idées amenant le public à la réflexion. Au final, l'Incinérateur de Cadavres prend physiquement aux tripes, conjuguant à merveille la splendeur de ses images et la richesse de son propos. Chef d'oeuvre, c'est dit !
A la fois loufoque et terriblement réaliste. L'incinérateur de cadavres, ou comment être prêt à détruire l'humanité en voulant oeuvrer en sa faveur... Un film où les meilleurs sentiments engendrent les idées les plus macabres.