Est-elle timide ou insensible ? D'une candeur imperturbable ou d'une cruauté calculée ? Pour beaucoup, le cas de Madeleine reste une énigme. Mais pour le spectateur, non.
David Lean, 34 ans avant La Route des Indes, réalise ce drame autour de la passion d'une femme de l'aristocratie écossaise pour un homme de basse condition, Français de surcroît. La passion n'a pas détruit la candeur de Madeleine, mais elle la traine dans la boue et malgré ce qu'on pourrait appeler aux yeux de l'époque une tentative de rédemption, son honneur lui serait définitivement perdu.
Une magnifique succession de deux plans orsonwellessiens montrent à Madeleine qu'elle est perdue pour sa famille : son père vient d'apprendre que sa fille avait un amant, et que ce dernier vient de mourir. Madeleine raccompagne l'informateur jusqu'à la porte, qui se referme avec discrétion, tandis qu'à l'extrême avant-plan se détache le visage horrifié du père. La fille lui lance un appel désespéré et tente de se raccrocher à lui, elle se jette à ses genoux. Le deuxième plan la montre à terre, implorant son père, et celui-ci arrache avec difficulté et autant de cruauté la main de sa fille qu'elle tenait dans la sienne. Ces deux plans montrent toute l'ignominie dans laquelle elle est tombée, plus encore que la foule qui l'injurie à l'entrée du tribunal : c'est la même qui l'acclame peu après quand elle ressort acquittée.
Ainsi, peu présent à l'écran mais sans cesse dans l'esprit de Madeleine, le père est une figure centrale du drame. C'est à cause de lui que Madeleine cache sa liaison. Quand elle découvrira que son amant éprouve un intérêt indissociable pour elle et sa fortune, ce n'en sera que pire. Tout le monde l'observe, tout le monde épie le moindre de ses gestes, comme en témoigne la terrifiante séquence du tribunal : depuis les juges jusqu'aux dessinateurs-journalistes. Seul son fiancé n'ose pas la regarder dans les yeux.
Madeleine n'est donc pas cruelle, elle n'a jamais eu de détermination. Il est évident qu'elle a eu le désir de se débarrasser d'un amant aimant mais trop encombrant, quant au passage à l'acte, il reste un mystère qui finalement ne modifierait pas l'image qu'on a d'elle, presque innocente au point de n'être pas consciente du bien et du mal.
A titre personnel, je me suis posé deux questions quant à la reconstitution de l'époque : la première est s'il est normal d'avoir une chambre à l'entresol dans une riche maison de Glasgow ; l'agent immobilier la présente avec toute la banalité possible, or je pensais qu'il s'agissait plutôt d'un accommodement propre aux pauvres. La deuxième est à propos de la présence du bal que les roturiers observent depuis un balcon aménagé spécialement pour eux apparemment. J'ignorais cette pratique, était-elle courante ? Il s'agit donc d'une peinture sociale plus aigüe qu'on ne veut le penser, et David Lean est un maître dans cet art.