Les scènes de crime d’Agatha Christie ont maintes fois été exposées, en parallèle du roman ou d’autres œuvres policières qui s’en inspirent. Au cinéma, on comptera déjà une vingtaine d’adaptation avant de tomber sur celle du Britannique John Guillermin, qui a au préalable enchaîné deux gros succès (La Tour infernale, remake de King Kong). Autant dire qu’il serait apte à cohabiter avec les manœuvres d’une écrivaine perspicace dans l’art de la suggestion. Après « Le Crime de l'Orient-Express » de Sidney Lumet, le public a compris qu’il serait possible de soudoyer l’imaginaire littéraire, tout en exploitant sa fibre cinématographique, et qu’il sera servi en conséquence. À choisir entre Hercule Poirot et Miss Marple, c’est de nouveau l’option sur le Belge que l’on retiendra, et de choix de sa croisière sur le Nil permettrait d’offrir une escapade divertissante.
L'appui nécessaire pour en extraire toute l’essence d’une enquête impossible à résoudre passe bien évidemment par le support écrit, dont le scénariste Anthony Shaffer (Le Limier, The Wicker Man, ainsi que l'adaptation de Lumet) continue de manier la plume avec précision. Et avec la présence de Jane Birkin, Lois Chiles, Bette Davis et Mia Farrow, il y aurait mille raisons de se laisser dominer par ce casting féminin de qualité. C’est pourquoi les figures masculines, à l’exception de Poirot (Peter Ustinov) et du Colonel Race (David Niven), se diluent dans un semblant d’innocence factice, que le détective ne tardera pas à tout révéler. Mais tout bon plat commence par une bonne recette et l’on ne s’écartera pas de la structure narrative de Christie, dans un préambule haut en couleur, mais qui semble en même temps assez loin d’embarquer à bord du Karnak. Et toute personne à son bord mérite un fond d’humanité, bien que certaines finissent par se trahir.
Là où il faudra cependant s’attendre à patauger dans la vase, ce sera à travers une mise en scène sans doute trop statique et qui préservera en permanence un déséquilibre dans le jeu des comédiens. Quand certains tiennent leur réplique avec la bonne intonation, d’autres paresses ou s’abandonne à un peu de folie. Il s’agit là de réinterpréter les lignes du roman, certes, mais bien que l’on prenne le temps de mieux connaître les profils et les enjeux, la caméra ne sera jamais aussi bien utilisée que lorsqu’elle se rapproche des structures vertigineuses des joyeux de l’Egypte. Ce qui reste à capter n’a pourtant rien de superficiel, mais aurait sans doute pu mieux coordonner le tempo du suspense, notamment lors du verdict final, où Poirot défait les mailles d’un meurtre, encore impossible à anticiper. La surprise vient donc gonfler l’intensité dans un dénouement, qui s’est surchargé en un catalogue de vices en tout genre, car avant que la sentence ne soit prononcée, aucun alibi ne pourrait délivrer les suspects.
Comme il s’agit de la première adaptation de l’autrice, après son décès, les moyens ont été mis pour à la fois lui rendre hommage avec prestance et de véritablement s’approcher du Nil et du roman. Guillermin est beau passé de la série B à une réalisation plus modeste, on ressentira aisément le revers d’un rythme, qui étire le récit jusqu’au drame fatidique. « Mort sur le Nil » regorge toutefois d’une photographie somptueuse et d’un décor naturel qui donnent un sens au lieu. Les personnages remontent ainsi le fleuve avec des intentions aussi douteuses que dangereuses, car au-delà de l’espièglerie, c’est une véritable tragédie qui se joue et qui liera les suspects par une ambition égoïste, mais sincère. Cela en fait donc son charme, de même que son arme du crime.