S’il est bien un film qui mérite le terme trop souvent galvaudé de « culte », c’est bien celui-ci. Œuvre aussi ambitieuse que narcissique (Clive BARKER adaptait ici son propre roman paru 2 ans plus tôt et envisageait dès le départ une trilogie), le long-métrage était promis à une belle carrière. Pourtant ce fut un four mémorable, que ce soit du côté des critiques que du public. L’auteur-réalisateur a longtemps accablé le studio d’avoir « charcuté » son film. Aujourd’hui, 30 ans après sa sortie, cela n’a que peu d’importance, car ceux qui ont aimé le film lui vouent une véritable adoration, alors que les autres l’ont oublié depuis longtemps.
Et pourtant, ce film mérite grandement d’être reconsidéré, notamment au vu de la formidable « Director’s cut » éditée en décembre dernier. La restauration du métrage original est mémorable et rend véritablement hommage au travail graphique de Barker. Car c’est bien là l’un des attraits principaux de ce film : l’esthétique. En effet, après les excès sanguinolents d’Hellraiser et de sa suite et avant le scénario gore feutré de Candyman, le cinéaste s’est offert une parenthèse où une galerie de monstres tous plus surprenants les uns que les autres sont confinés (déjà !) dans un cimetière, à l’abri des regards et de la haine des humains. Les maquillages sont extrêmement soignés, les couleurs très travaillées, tous comme les longs travelings et les éclairages contrastés qui ponctuent le film.
Car ça n’est pas l’histoire qui emporte l’adhésion de la version originale ! Force est de reconnaître que l’on ne comprend pas grand-chose à cette histoire de race de la nuit (les fameux Nightbreed du titre en VO), ni à l’histoire de ce Boone qui veut absolument les rejoindre, sous l’œil inquisiteur et menaçant de son psychiatre (surprenant David CRONENBERG, plein de sadisme et de retenue !). Mais si l’on n’accepte le mystère, l’on peut facilement se laisser emporter par ce film paraissant être un savant mélange d’horreur, de slasher movie et de love story. David LYNCH a fabriqué quelques chef-d’œuvre sur ce modèle (citons pêle-mêle Lost highway, Mulholland drive, la série Twin Peaks, Dune ou Twin Peaks – Fire walk with me). Alors, pourquoi pas Clive BARKER ?
Si elle enlève un peu de mystère, la nouvelle version de Cabal s’étoffe d’une demi-heure de séquences rallongées ou inédites qui (enfin !) donnent de l’épaisseur aux personnages et explicitent un peu plus l’histoire. Certes, tout n’est pas clair comme de l’eau de roche, mais c’est aussi ce qui en fait le sel. Préservant une part d’étrange et d’inexpliqué, Barker nous montre un Boone (Craig SHEFFER) plus humain, plus ambigu, persuadé d’être un monstre, sans en avoir la preuve formelle. Ses relations avec sa petite amie Lori (Anne BOBBY) deviennent d’un seul coup beaucoup plus normales (du moins, au départ) : il existe même une vraie attirance entre eux, alors que le film de 1 990 peinait à nous faire croire qu’ils étaient en couple. Enfin, la relation qu’entretient Boone avec son psy est passionnante car fondée sur la dépendance et la culpabilité du patient que le praticien entretient pour son plus grand plaisir. Qui du médecin ou du patient est finalement le plus dérangé, pour ne pas dire malade ? Enfin, la façon dont est dépeinte la police de Midian, petite ville du fin fond de l’Amérique, est savoureuse, notamment à travers le personnage du capitaine Eigerman (Charles HAID), « protégeant » une ville aussi fasciste qu’arriérée.
Je vous accorde que les meurtres ne paraissent pas plus justifiés dans une version que dans l’autre, mais il fallait bien garder l’esprit « slasher » qui est l’un des attraits du film. Mais ce qui est également notable, ce sont les fins qui diffèrent grandement. Si les deux sont ouvertes et laissent présager une suite à l’histoire, dans la première version, elle était axée sur le tueur en série qui devait poursuivre les monstres, alors que dans la seconde, le côté christique, voire messianique, est accentué et lui donne une tout autre saveur.