Avec Iwo Jima, le réalisateur Allan Dwan pose la question suivante : que léguer de la guerre à nos enfants ? De quelle façon les actions belliqueuses féconderont-elles la mémoire des générations à venir ? Car ce qui ressort de la guerre, c’est avant toute chose une camaraderie brisée, pulvérisée, mitraillée par des balles invisibles tirées depuis des campements hostiles. On se demande bien ce que le gouvernement fera de cette terre incultivable une fois la bataille remportée (parole de soldat). À quoi bon se battre ? La formation péniblement reçue pendant de longs mois n’est d’aucune utilité (parole de soldat), et la soumission à l’ordre n’apprend ni à survivre, ni à mourir en héros. À la guerre ne vaut que le hasard, à la guerre disparaît l’héroïsme tant vanté et espéré dans les brouillards de l’anonymat et de la barbarie. Même le drapeau que les vainqueurs plantent sur l’île ne sert que de sépulture par défaut au sergent John Stryker. Il a pris une balle sans raison, le combat avait cessé. Alcoolique, violent, esseulé, privé de son fils, le personnage ici campé par John Wayne offre un visage fort peu reluisant du chef de guerre ; pourtant, derrière ses masques se cache une humanité à fleur de peau qui s’exprime par sa relation avec une mère et son bébé, puis post mortem, quand ses hommes lisent à haute voix la lettre qu’il réservait à son enfant, réquisitoire adressé à celui qu’il fut ainsi qu’à l’État qu’il servit de la manière la plus primitive et bête qui soit. L’antimilitariste vient conclure le long-métrage de façon ouverte, il perlait déjà les propos de Peter Conway, soucieux de fonder une famille sur des bases saines et ainsi prendre ses distances avec le modèle paternel qui perdure en dépit de la mort dudit père. Dans cette société des pères tour à tour bourreaux et victimes, la paternité est une ombre autoritaire qui plane sur les fils comme le ferait un ennemi embusqué, tapi dans les tréfonds de l’être, plus lancinant encore que les flirts avec la mort sur le champ de bataille. Iwo Jima ancre son récit dans deux espaces précis : les camps d’entraînement et les îles japonaises. Tous deux traduisent un même mal d’abord gardé en soi puis extériorisé ; la guerre devient alors l’occasion d’un règlement de compte à l’égard de la figure du père dont l’ombre finit par s’éclipser. Il aura fallu la mort de Stryker pour y parvenir. L’issue, elle, demeure incertaine : les soldats quittent le visible, entrent dans les nuées. L’Histoire est faite, le drapeau est planté ! Mais les hommes ont disparu. C’est reconnaître la pérennité des symboles patriotiques, toujours plus ostentatoires que la parole des hommes qui les ont portés. En condamnant la guerre comme boucherie à l’héroïsme creux et à l’anonymat prégnant, en s’intéressant davantage à la vie quotidienne des hommes d’armes qu’à l’affrontement stricto sensu, Allan Dwan raccorde la mémoire à sa base humaine et sensible. Ce faisant, il signe une œuvre intelligente et visuellement impressionnante (images d'archives à l'appui) qui mériterait de quitter l’anonymat relatif dans lequel elle est tombée.