Une question me taraude : pourquoi ce film n’est pas plus connu ? Il mériterait pourtant de retrouver la faveur du public car il se révèle des plus intéressants. Peut-être devrais-je dire des plus surprenants. Je ne connaissais même pas l’existence de ce film ! C’est donc sans rien en savoir, excepté la présence de Lino Ventura, que je me suis laissé aller à la découverte du deuxième long métrage de Gilles Grangier de l’année 1959. Le cinéaste ne tarde pas à nous faire retrouver Lino Ventura au 125, rue Montmartre, là où les Messageries de la Presse Parisienne mettaient les journaux à la disposition des crieurs. Eh bien oui, notre cher Lino est un crieur, « un vendeur de journaux, quoi ». Un gars qui porte les bonnes et mauvaises nouvelles à qui veut bien se tenir au courant des informations régionales et nationales. Mais alors qu’il finit sa journée et se prend une pause tranquille en bord de Seine, il croise le chemin d’un autre homme au comportement étrange. Après un round d’observation, ce qui va suivre va changer leur vie, mais ils ne le savent pas encore et encore moins comme ils l’entendent. Etant donné que je ne savais rien du film, j’ai d’abord pensé à une gentillette comédie sur des petites gens. Je veux dire des gens lambda, des monsieur-tout-le-monde. A travers Didier Barrachet, Robert Hirsch fait penser à un François Pignon avant l’heure. Vous savez, le gars qui veut se suicider mais qui n’y parvient pas pour ensuite coller aux basques de son sauveur de la même façon que les chiens ont des puces. De son côté, Lino Ventura semble camper le bon samaritain trop gentil pour oser se débarrasser de ce boulet venu encombrer sa petite vie tranquille de célibataire. Avec eux, on partage leur quotidien : les discussions certes parfois animées, on mange avec eux, bref on partage leur quotidien jonché de pleurnicheries, jusqu’au sourire béatement émerveillé au cirque. Mais il est vrai qu’on trouve Pascal trop gentil, même si on reconnait qu’il n’est pas évident de rejeter une âme suicidaire. Et voilà que sans le savoir, le spectateur se laisse berner, à l’image du crieur qui (nous sommes en droit de nous le demander) semble ne pas lire les journaux, en particulier les affaires sordides. La théorie du cordonnier… C’est justement quand on découvre le pot aux roses sans qu’on le voit venir que tous les menus détails fournis par Didier Barrachet nous reviennent en pleine gueule, nous faisant mesurer à quel point les dialogues de Michel Audiard sont une nouvelle fois du cousu main. Bien sûr, rien à voir avec les dialogues d’autres films tels que "Les tontons flingueurs" ou "Les vieux de la vieille", mais on a quand même quelques banderilles bien sympas. « Y’a qu’un lit ? – Tu croyais trouver un dortoir ? ». Trop drôle ! Du Audiard tout craché, en prêtant par moments du vocabulaire de charretier à Lino dans ses moments de colère. Si on se laisse avoir si facilement, c’est parce que Robert Hirsch a remarquablement donné la réplique à Lino. Ce dernier se démène beaucoup, ne cesse de monter en puissance tout au long du film jusqu’au dénouement final. Mais à aucun moment il ne parvient à effacer la performance de son partenaire d’écran. C’est même limite si ce n’est pas Robert Hirsch qui vole la vedette à Lino. Dans tous les cas, il ne nous est impossible de l’effacer tant sa performance contribue à la mise en place d’un imbroglio savamment orchestré par Gilles Grangier à partir du roman éponyme d’André Gillois, lequel a contribué (avec Audiard, Grangier et Jacques Robert) à l’adaptation pour écrire le scénario.