Très bon film de Stanley (adaptation d'un bouquin), mais sans être - à mon avis - génialissime comme d'autres ; je dirais simplement très irrévérencieux et très ironique (et très drôle). Le film commence par une Marseillaise, très pompeuse, puis la réunion avec courbettes militaires à outrance entre deux généraux français en 1916 (1ère GM donc), Broulard et Mireau (oui, il y a quelque chose roublard chez l'un qui obtient ce qu'il veut de Mireau et d'aveugle chez l'autre qui ne voit pas tout dans les manigances de Broulard), bref, rencontre entre les deux qui est un magnifique discours au second degré : Broulard veut que Mireau lance ses hommes dans une offensive qui devra gagner la position allemande nommée la Cote 110 (la fourmilière en VO). Mireau refuse catégoriquement, en arguant l'état moral et physique déplorable de ses troupes. Broulard laisse entendre que Mireau sera avancé de je ne sais plus quelle décoration ou croix de guerre. Mirabeau accepte, en insistant bien sur le fait que la décoration n'y est pour rien, et que son jugement initial était bien un peu exagéré...
Le ton est donné : Les sentiers de la gloire est une critique de l'armée-discipline, de l'armée comme instrument de pouvoir, avec tous les signes dynastiques que cela entraîne : décorations, gestuelles, position des corps individuels et collectifs, mouvements, distribution des corps et des espaces, toute la mécanique détaillée, tous les rouages de l'armée comme discipline de pouvoir y passe. Mais, venant de Kubrick, c'est très fin, très bien enrobé (comme la pompeuse Marseillaise du début). En tous les cas, dans tout le film et à tous les étages de l'armée, l'abus de pouvoir est ri, et ça c'est plutôt original.
Bref, Mireau ordonne au colonel Dax (Kirk Douglas, rôle principal) de mener l'offensive. Mais c'est évidemment une boucherie, à tel point qu'un seul bataillon (je ne sais pas trop comment l'on dit, mais enfin) sur trois initialement prévus arrive à s'extraire des tranchées, les autres étant immobilisées par les obus et les balles sifflantes. Du coup, petit coup de folie de Mireau (caricature du militaire borné, avec un sens de l'honneur immensément patriotique etc.), qui prend cette impossibilité d'avancer pour de la pleutrerie et de la couardise (on a là une petite idée de l'usage de jurons extra-drôles utilisés 30 ans plus tard dans Full Metal Jacket), décide simplement de tirer ses hommes par ses propres canons, comme ça, pour la leçon de discipline. Mireau, qui n'en démord pas, et qui surtout veut sauver sa peau devant l'échec cuisant de ses troupes, provoque ensuite un conseil de guerre afin de faire fusiller trois soldats tirés au hasard, pour l'exemple. Magnifique parodie, alors, de l'incursion juridico-judiciaire dans l'armée, avec le tribunal qui doit uniquement condamner les trois malheureux, malgré l'évidence de leur innocence (plaidée par Kirk, seul personnage officier de l'armée à être sensé, ou moral, ou intelligent). Bref, absolue dérision du commandement abusif ; ce que veut dire à travers tout le film Kubrick, c'est : ce fait d'obéir pour obéir, on ne le voit vraiment que dans la folie d'un ordre qui vient de tout en haut, et cette folie, évidemment, c'est aussi la folie de toute l'armée dont le fonctionnement peut reposer sur une pure folie (je ne connais pas assez Kubrick, mais certainement un clin d'oeil à Hitler ou aux totalitarismes).
Bon, mis à part que ça finit magnifiquement mal (alors que Kirk, qui arrive à dénoncer preuves à l'appui le général Mireau pour sa tentative de suicide sur son armée, pouvait laisser croire à un retournement de situation), excellente réalisation évidemment, tout est pensé, la lumière, et surtout, je crois, dans ce film, la disposition spatiale des acteurs, objets, faisceaux lumineux... dans le cadrage (une sorte de transposition géométrico-ordonnée de l'armée au champ de la caméra). Bon jeu général des acteurs, surtout des officiers, et surtout surtout de Kirk. Mais cela dit, ce n'est pas le meilleur de Kubrick, parce qu'il ne crée vraiment pas grand-chose, il critique seulement, il parodie et ironise... Et puis il n'y a pas l'aspect musical qui me plaît tant chez lui dans d'autres films... Ca vaut un 15/20, hop.
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