Très remarqué au Festival de Cannes, où il a été présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique en 2004, Calvaire a été projeté l'année suivante au Festival du film fantastique de Gerardmer. Il y a obtenu le Prix du jury et celui de la critique internationale - l'autre grand vainqueur cette année-là à Gerardmer était d'ailleurs un autre thriller belge, Trouble de Harry Cleven. Calvaire a d'autre part décroché le Prix très spécial, une récompense, initiée par Jean-Claude Romer et Gérard Lenne, qui distingue chaque année un film dérangeant, iconoclaste : parmi les anciens lauréats, citons C'est arrivé près de chez vous du trio d'outre-Quiévrain Belvaux-Bonzel-Poelvoorde, Seul contre tous de Gaspar Noé, Trouble every day de Claire Denis ou encore Dans ma peau de Marina De Van.
Le réalisateur parle de son goût pour le cinéma fantastique : "Calvaire, comme certains films de Buñuel par exemple, s'inscrit indéniablement entre la fiction et la réalité. Le fantastique est un bon point de départ pour raconter des histoires. Ce film est très proche du rêve, de la métaphore. Lorsqu'ils sont réussis, les films fantastiques me semblent être les meilleures réalisations du monde. Je pense à L'Exorciste, à Evil dead, à Shining." Concernant plus généralement ses influences, il confie : "Je suis très friand de cinéma déviant, d'horreur, populaire, épique, burlesque, avec une préférence pour les productions américaines et asiatiques. Je suis un fanatique de Wong Kar Waï, comme de Larry Clark, Peckinpah, Buñuel, Ford, André Delvaux et tant d'autres... les cinéastes habités. Pour Calvaire, en particulier, il y a une oeuvre très forte qui m'a accompagné sur ce film : Massacre à la tronçonneuse. Ce film m'a traumatisé. C'est grâce à cette réalisation que j'ai découvert Hitchcock et tout le cinéma de la "haute solitude" des années 70. C'est un film qui m'a éveillé et m'a conduit à m'intéresser à beaucoup d'artistes, comme Bacon, Hopper, etc."
Calvaire est le premier long métrage de Fabrice Du Welz, cinéaste belge né en 1972. Etudiant au Conservatoire d'art dramatique de Liège et à l'INSAS (l'école de cinéma de Bruxelles), il écrit ensuite des séquences humoristiques pour des émissions de Canal+ telles que Nulle Part Ailleurs. En 1999, il signe le court-métrage Quand on est amoureux, c'est merveilleux, oeuvre singulière qui décroche le Grand prix au Festival de Gérardmer, et dans lequel apparaît déjà Jackie Berroyer.
Fabrice Du Welz se souvient : "Le projet a germé il y trois ans. L'idée de départ était d'avoir deux personnages masculins dont l'un prendrait l'autre pour sa femme... Mais nous n'arrivions pas à conclure. En définitive, je me suis rendu compte qu'il ne fallait rien expliquer du tout, qu'il était préférable de rester dans une certaine opacité et de préserver le mystère. J'ai fini par conclure un scénario facilement et rapidement. Puis, toujours avec Romain Protat, j'ai travaillé sur les dialogues. Ce n'est qu'ensuite qu'est venu le plus laborieux : trouver les financements pour monter le projet." Trois ans ont en effet été nécessaires pour que ce film peu banal voie le jour. En revanche, le tournage a été très court : 35 jours seulement.
Avec Calvaire, Fabrice Du Welz semble suivre la route -ou plutôt la déviation- empruntée par Gaspar Noé : on retrouve en effet au casting Philippe Nahon ("Le Grand Nahon", comme l'appelle le cinéaste), acteur-fétiche de l'auteur de Seul contre tous, mais aussi Jo Prestia, alias Le Tenia dans Irréversible. Ce film avait d'ailleurs pour directeur de la photo Benoît Debie, chef-op' sur Calvaire. Quant à l'apparition de Brigitte Lahaie, ex-star du X et égérie de Jean Rollin, ici dans le rôle d'une infirmière, le réalisateur explique : "(...) je l'ai invitée à se joindre à notre aventure parce qu'elle est la figure parfaite d'un cinéma "bis"."
A propos du choix de Laurent Lucas, le cinéaste précise : "Je cherchais un jeune comédien, avec cet air d'être en retenue et à la fois très ambigu (...) j'aime aussi son côté polymorphe, opaque, on ne sait jamais trop ce qu'il pense ni ce qu'il veut." Sadisé dans Calvaire, le comédien a souvent été confronté, directement ou indirectement, à la douleur et à la souffrance, qu'il s'agisse de la maladie (compagnon d'une femme atteinte d'un cancer dans Haut les coeurs !, il campe un séropositif dans J'ai horreur de l'amour) ou des troubles psychologiques (sa petite amie est une adepte de l'auto-mutilation dans Dans ma peau, il est manipulé par un psychopathe dans Harry, un ami qui vous veut du bien). Mais l'acteur a également joué plusieurs rôles de bourreau, comme l'inquiétant médecin de Qui a tué Bambi ? ou l'impitoyable patron de Violence des échanges en milieu tempéré...
Conte fantastique, Calvaire n'en est pas moins un film sur le besoin d'amour : "Marc Stevens, le chanteur, est une sorte de Tintin, quasi asexué, qui semble recueillir et être le point de mire des fantasmes de tous. Ce personnage est fascinant parce qu'il est souvent là, tout en semblant ne pas y être... Tandis que chez les autres, c'est leur humanité malade qui est intéressante, parce que troublante (...) C'est aussi un film sur la foi et l'aveuglement amoureux. L'histoire que je raconte, cet homme qui prend un autre homme pour sa femme, est plausible. Je me souviens qu'un jour, dans un hospice où j'allais voir ma grand-mère, une vieille dame m'a pris pour son mari... Oui, c'est un film sur cette envie absolue d'aimer ou être aimé."
Pour parvenir à créer une atmosphère inquiétante, le travail sur la lumière se révèle essentiel. Le réalisateur évoque ainsi sa collaboration avec le chef-opérateur Benoît Debie : "Benoît a une manière tout à fait spéciale d'utiliser la lumière, il travaille beaucoup dans les basses lumières. Il ose ausi le noir absolu, ce qui est très rare en Europe. Pour Calvaire, lui et moi avions une idée très précise de ce que nous voulions, en tout cas pour les prises en extérieur ou les intérieurs jour. Nous ne voulions aucune source apparente à l'intérieur (comme dans les films de Clint Eastwood), ce qui donne une lumière très contrastée. Nous voulions explorer à fond les couleurs primaires, ainsi que le noir et blanc. Nous souhaitions également, par ce parti pris, sublimer les Fagnes, la région incroyable de Belgique au microclimat sibérien et à la végétation folle dans laquelle nous avons tourné."
Au départ, Jackie Berroyer s'était vu proposer le rôle de villageois que tient finalement Philippe Nahon. "(...) jouer sur leurs ressemblances physiques m'a particulièrement amusé", note d'ailleurs le réalisateur à propos des comédiens, tous deux barbus dans Calvaire.
L'inquiétant aubergiste interprété par Jackie Berroyer porte le nom d'un cinéaste-culte, auteur de films de genre cheap : Paul Bartel comme La Course à la mort de l'an 2000 avec Sylvester Stallone et David Carradine (1976) et Eating Raoul, (1982) portrait délirant d'un couple d'Américains anthropophages.
Olivier Gourmet avait été un temps pressenti pour faire partie de la distribution de Calvaire.
En 1999, le court-métrage Quand on est amoureux, c'est merveilleux, était produit par Todo Films, petite structure à qui on doit les faux Carnets de Monsieur Manatane avec Benoît Poelvoorde. Todo films est devenue en 1999 une véritable maison de production, La Parti, qui a financé des longs métrages aussi personnels que Calvaire ou Aaltra, du duo Delépine-Kervern, mais aussi la série animée belge Panique au village, conçue par les inventifs Patar et Aubier.