Si le comportement espiègle et désobéissant du célèbre lapereau de Beatrix Potter détonnaient en 1902, alors que les prémices de la littérature pour enfants se devaient sans doute d’avoir une vocation comparable à celle du laudanum, il n’en est évidemment plus de même aujourd’hui, où la série est avant tout apprécié pour ses adorables dessins et ses personnages délicieusement surannés. Est-ce que les bétises de Pierre lapin n’allaient pas sembler démodées aux yeux de petits spectateurs biberonnés aux délires sous acide d’un quelconque héros hyperkinétique d’aujourd’hui ? Ou bien, tout à l’obsession de rendre ce personnage victorien lisible pour le public enfantin d’aujourd’hui, réalisateurs et scénaristes ne risquaient-ils pas lui faire perdre tout ce qui contribuait à son charme britannique ? Dans tous les cas, on ne donnait pas cher de sa peau (de lapin), d’autant plus que le film est une production américaine, et pourtant, ‘Pierre lapin’ est une bien jolie réussite, comparable à ‘Paddington’ dont il parvient à retrouver l’alchimie et l’équilibre, et qui ne souffre jamais des défauts de ses qualités. Le pari de moderniser le contexte, d’inclure plus directement les humains dans l’aventure alors qu’ils n’étaient que des ombres menaçantes dans les livres de Ms Potter, de faire exister cette dernière sous la forme d’une artiste excentrique plus préoccupée de ses voisins à poils et à plumes que des humains, et de parvenir à trouver une harmonie entre acteurs et personnages animaliers numériques était risqué, mais on aurait du mal à reprocher quoi que ce soit au résultat, production familiale idéale qui enchantera les enfants et ne donnera pas beaucoup de fil à retordre aux parents pour qu’ils y adhèrent à leur tour. En dépit de son petit veston, Pierre, et tous les autres animaux dans la foulée, sont plus photoréalistes que cartoonesques, et le fait de les faire sortir, fut-ce brièvement, de leur zone de confort (le potager et ses alentours) pour les emmener à Londres leur réussit mieux qu’aux Schtroumpfs à New York ou à Paris. Surtout, cette petite ménagerie, aux costumes bien coupés et aux attitudes typiques de l’Angleterre rurale d’autrefois, sont aussi attendrissants à l’écran qu’ils pouvaient l’être dans les pages des livres. Quant aux acteurs principaux, ils oeuvrent dans une vis comica typiquement britannique, avec ce mélange improbable de surchauffe et de flegme exigé pour donner la réplique de manière cohérente à des animaux. Peut-être n’évolue-t-on pas ici dans une stricte reproduction de ce qu’avait imaginé Beatrix Potter, raison pour laquelle il vaut mieux parler ici d’adaptation que de portage : on découvre des gags visuels dont la “violence� évoque les cartoons des années 50, un rythme soutenu et un lapin hâbleur qui n’arrête jamais de tenir le crachoir, trois caractéristiques qui n’ont que peu à voir avec Pierre lapin tel qu’il était voici un siècle : de façon presque miraculeuse, le résultat ne succombe pourtant pas à l’hystérie indésirable, ni à la vulgarité gratuite, ni aux références trop contemporaines. Même les chansons ont un petit côté “evergreen� qui implique qu’on ne les trouvera pas ringardes d’ici dix ans Faisant le choix de la raison entre la lettre et l’esprit, ‘Pierre lapin’ réussit avec brio son petit bond dans l’avenir : c’est sans doute injuste pour beaucoup d’autres adaptations mais la fidélité à l’oeuvre originale, on ne s’en émeut que lorsque le résultat n’est pas à la hauteur des attentes.