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TTNOUGAT
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4,5
Publiée le 22 mai 2014
Quand on a vu ''Morocco'' on ne peut douter du talent de Sternberg aussi est-il passionnant de voir et surtout de revoir le film qu'il considérait comme son préfèré. C'est facile à comprendre tant ''Fièvre sur Anatahan'' est personnel, Sternberg ne laisse d'ailleurs quiconque prendre la parole en dehors de lui. Tout est inhabituel : la situation, les rapports humains, les acteurs expressifs par leurs mimique comme du temps du cinéma muet, les danses, les chansons et une femme perdue entre tous ces hommes mais de plus en plus rendue désirable plus le film avance. La mise en scène est constamment belle et maitrisée, il n'y a aucune place pour la photographie en dehors de l'horizon que l'on aperçoit parfois. L'originalité de ce cinéma surprend mais ne dérange jamais car une sorte de douceur liée à l'eclairage du noir et blanc nous anesthésie. Qu'aurions nous faits placés aussi longtemps dans de pareilles conditions ? Je crois que Sternberg a donné là sa réponse. Quelle que soit notre position et nos ressentis vis à vis de ce film, une chose est certaine : c'est l'oeuvre d'un maitre es septième art.
En 1952, quand il débarque au Japon avec sa famille pour y tourner “Fièvre sur Anatahan”, Josef Von sternberg est à la veille de la fin de sa carrière. Il lui reste 17 ans à vivre et plus jamais il ne prendra place derrière une caméra (“Jet Pilot” sorti sur les écrans en 1957 avait en réalité été tourné en 1949, Howard Hugues en conflit avec Sternberg ayant gardé le film en réserve). Après avoir donné des cours sur l’esthétique de ses films à UCLA de 1959 à 1963, il se consacre à l’écriture de ses mémoires (“Souvenirs d’un montreur d’ombres” paru en 1966) et meurt le 22 décembre 1969 à Hollywood, la cité des rêves avec laquelle il aura vécu une relation d’amour/haine tout au long de sa carrière. Cosmopolite convaincu, Sternberg a toujours entretenu un rapport privilégié avec l’Orient qui inonde visuellement quelques-uns de ses films (“Shanghaï Express”, “Shanghaï Gesture”, “Macao”). En 1936, juste après sa rupture avec la Paramount qui marque la fin de sa collaboration avec Marlène Dietrich, il se rend à Tokyo où ses films sont très populaires. Là-bas, son ami le réalisateur/montagnard Arnold Fanck lui présente le producteur Nagamasa Kawakita avec lequel sont évoqués de possibles projets cinématographiques. Mais l’incursion agressive du Japon en Mandchourie ramène Sternberg à Hollywood. Commencent alors cinq ans d’errance qui voient les films de commande succéder aux films inachevés et aux projets inaboutis. Humiliation surprême, le réalisateur prestigieux se voit confier la mission de jouer les pompiers sur des films en carafe. “Shanghaï Gesture”, film somptueux réalisé en 1941 sous la houlette d’un producteur autrichien indépendant (Arnold Pressburger) sera la seule éclaircie au milieu d’un ciel très sombre. Sternberg est désormais persona non grata au sein des studios. Après une ultime pige de deux films pour Howard Hugues encore une fois peu concluante, le réalisateur sans illusion sur son avenir hollywoodien a l’idée de prendre à nouveau contact avec Nagamasa Kawakita suite à un article lu à New York sur l’histoire incroyable de soldats japonais ayant vécu reclus sur une petite île de Micronésie (Anatahan) pendant sept ans, refusant de croire à la reddition du Japon survenue le 2 septembre 1945. Cette histoire incroyable qui s’est achevée en 1951 fascine d’autant plus Sternberg qu’avec les trente soldats se trouvait une femme dont la présence avait fini par provoquer des affrontements mortels au sein de la petite communauté. Son aura étant toujours aussi forte au Japon, Sternberg est accueilli à bras ouverts avec l’assurance d’une maîtrise totale sur le film. Pour l’occasion une société de production (Daiwa) est montée dont Sternberg est le quatrième actionnaire aux côtés de Nagamasa Kawakita, Kazuo Takimura et Yoshio Ozawa. En s’appuyant sur le récit d’un survivant (Michiro Maruyama), Sternberg écrit lui-même le scénario et passe de longs mois à recruter celle qui sera Keiko déjà présente sur l’île avec son compagnon, découverte par hasard par le groupe de soldats et devenant au fil du temps et des tentations qui s’aiguisent “la reine des abeilles” puis “la seule femme du monde”. Comme il avait trouvé Marlène Dietrich à Berlin, Sternberg découvre Hakimi Negishi dans un cabaret, ayant refusé toutes les comédiennes confirmées qui lui ont été présentées. Bien entendu le recours au studio semble aller de soi, Sternberg voulant maîtriser tous les aspects visuels de sa dramaturgie. Un énorme hangar (ancien pavillon d’exposition) est trouvé à Kyoto après le refus de la Toho de prêter ses studios de Tokyo. Sans doute conscient qu’une telle occasion ne se représentera plus, le réalisateur âgé de 58 ans met toute sa force créatrice dans cet ultime ouvrage. Le résultat est saisissant et unique dans sa forme à l’époque. Le film sera d’ailleurs incompris durant de longues années et mal accueilli tant au Japon qu’en Amérique malgré les retouches qui seront apportées pour le rendre plus accessible. Sternberg captivé par sa création et qui n’aime rien tant que recréer des mondes avec une femme au centre n’a bien sûr pas tenu compte du contexte local dans lequel il évoluait . Le public japonais reprochera en effet au réalisateur d’avoir trahi sa confiance en lui volant un pan de son histoire à travers l’essentialisation de son propos. Un reproche qui se concrétise avec les dialogues des protagonistes rendus presque inaudibles par une voix-off en surplomb créant une distance jugée hors de propos en regard de la cruauté des évènements. Une voix-off américaine qui n’est autre que celle de Sternberg lui-même. Les treize acteurs masculins étant pour l’essentiel issus du théâtre kabuki ne sont juste que des corps en mouvement ayant pour fonction d’illustrer la narration souvent atone mais aussi parfois ironique de Sternberg prenant la place d’un rescapé qui rétrospectivement rend compte tout en tentant d’analyser ce qui s’est passé. Dans cet énorme hangar devenu l’île de Sternberg, toute la nature humaine se déploie avec au centre une Keiko quelques fois manœuvrière qui quittera l’île au moment où elle comprendra que son destin va lui échapper. Esthétiquement (musique lancinante sublime d’Akira Ifukube) et scénaristiquement tout aussi fascinant que déstabilisant, “Fièvre sur Anatahan” qui était le film préféré de Sternberg résume complètement l’artiste mais sans doute aussi l’homme qu’il était. La solitude et une marginalité teintée d’une certaine dose de masochisme lui étaient assurément plus supportables que devoir en rabattre sur la haute idée qu’il se faisait de lui-même et de son art. Une œuvre unique et indépassable en a résulté.
C'est avec une totale liberté que Joseph von Sternberg a pu réaliser "Anatahan", film sur lequel le cinéaste règne en démiurge jusqu'à le vampiriser avec sa propre voix qui commente presque chaque image. Le procédé consistant à ne pas sous-titrer les dialogues japonais mais à commenter les actions par une voix-off est aussi surprenant qu'aberrant car il ôte non seulement toute consistance aux personnages, qui ne sont plus des corps vivants mais des marionnettes soigneusement disposées dans le cadre et manipulées par le cinéaste tout-puissant, mais rend en plus peu lisible (et moins visible) la mise en scène dans sa globalité. Le risque de cette voix-off envahissante, surtout lors de la première heure, est de davantage focaliser le spectateur sur le son plutôt que sur l'image, une erreur majeure tant le film fait un usage magistral de son décor. L'île imaginée par von Sternberg est en effet somptueusement sauvage, reflet de l'intériorité de ces hommes isolés du monde et partagés entre le respect qu'ils doivent à la seule femme présente et leurs pulsions sexuelles. A ce titre, la dernière demi-heure, à la fois plus aérée et plus tendue, est impressionnante dans sa manière de mêler l'Histoire à la fiction et d'élever pour de bon son unique personnage féminin au rang de mythe, vénéré par des hommes qui retrouvent leur pays vaincu, une terre qui paraît bien insignifiante au regard de ce que fut la vie sur Anatahan. Expérience d'abord douloureuse avant de fasciner, "Anatahan" ne ressemble à rien de connu : il s'agit en somme, et c'est peu de le dire, d'un film "seul comme une île".
Étrange film que "Anatahan", l'une des dernières réalisations de Josef Von Sternberg qu'il tourna au Japon avec un casting intégralement japonais. Le film s'inspire d'une histoire vraie, à savoir celle d'un groupe de soldats japonais échoués sur une île en 1944, y passant plusieurs années en ignorant l'issue de la guerre et se disputant les faveurs de la seule femme présente sur les lieux. Tourné en studio, "Anatahan" y est résolument exotique et d'une moiteur parfaitement sensuelle. C'est également la narration qui surprend : les dialogues en japonais ne sont pas sous-titrés et le film repose essentiellement sur une narration en voix-off effectuée par Sternberg lui-même. Le cinéaste met tout de suite une distance entre le récit qui se déroule sur l'écran et le spectateur. Se mettant dans la peau d'un des survivants, le narrateur exprime toutes les émotions ressenties par les soldats et livre de profondes réflexions philosophiques empêchant toute forme d'identification aux personnages de l'histoire, simples pantins à la merci de leurs désirs. Le résultat est curieux mais la démarche du cinéaste fascinante, créant un univers singulier au noir et blanc sublime et à l'histoire quasiment hypnotique...
« Anatahan » est une île volcanique des îles Mariannes du Nord. L'île est particulièrement connue au Japon pour avoir abrité un groupe de trente-trois Japonais refusant de croire à la reddition de leur pays. Après que treize hommes furent morts ou portés disparus à la suite de conflits tournant autour de la seule femme du groupe, les rescapés furent évacués en 1951. S’inspirant de cette affaire, « Fièvre sur Anatahan » est le dernier film de Josef von Sternberg. Tourné dans un immense hangar où il a reconstitué la jungle de l’île, le réalisateur signe une œuvre singulière et étrange. Ne traduisant pas les mots de ses comédiens, il préfère nous décrire les scènes avec sa voix en off. Le film sur concentre sur la notion de pouvoir des hommes dans un monde où il n’y a plus de règle. Les armes et la séduction deviennent alors maîtresses pour gouverner sur l’île. « Anatahan » est une œuvre passionnante entre fantasmes et théorème de la condition humaine. D'autres critiques sur notre page Facebook : Cinéphiles 44 et notre site cinephiles44.com
Anatahan a polarisé deux réceptions critiques contraires selon qu’il fut visionné au Japon et aux États-Unis, pays qui le blâmèrent ouvertement, ou en France, aussitôt découvert aussitôt acclamé comme la perle rare d’un auteur mal compris et invisibilisé. Le long métrage déconcerte par sa voix off en langue anglaise qui à la fois redouble les propos tenus par les acteurs japonais, et donc par leur personnage respectif et laisse entendre la voix du cinéaste, Sternberg assurant lui-même la narration. Un tel procédé, des plus singuliers au cinéma, rejoint l’approche esthétique d’une Marguerite Duras qui cherche la désynchronisation du son et de l’image, le point de vue externe, la polyphonie et le dialogue entre les mots. L’étrangeté produite réside alors dans le décalage entre une démarche documentaire et la construction d’un espace factice, en témoigne l’un des cartons du générique d’ouverture qui revendique cette fausseté en précisant que tous les décors sont en studio ; sans oublier que ce générique d’ouverture est capté derrière un aquarium où nagent des poissons rouges, métaphore amusée de l’entreprise poursuivie ensuite, qui rappelle aussi que Sternberg a essentiellement représenté, sa vie durant, le spectacle et ses coulisses. Le microcosme insulaire fonctionne tel un cabaret : les hommes se laissent gagner par la fièvre, boivent de l’alcool, chantent et dansent et désobéissent jusqu’à tomber sous le charme de la belle Keiko, la « reine des abeilles » qui métaphorise le désir masculin isolant les hommes de la réalité. Dès lors, la rivalité amoureuse constitue une transposition d’un contexte militaire inopérant en raison de l’attente d’un ennemi qui jamais ne vient ; le cinéaste s’intéresse alors à l’ennemi intérieur, au démon qui sommeille en chacun des soldats, auxquels s’allie Sternberg lui-même, ses plans témoignant d’un érotisme puissant à l’égard de la femme-volcan. Il anticipe en cela la démarche de Bruno Dumont avec Flandres (2006). Anatahan rend hommage aux égarés, aux laissés-pour-compte, ainsi qu’à la toute-puissance de la fiction comme échappatoire à une réalité décevante. Une très belle réussite.
Dernier film entièrement réalisé par Joseph Von Sternberg, il part d'un événement qui survint pendant la guerre du Pacifique. Un bateau de marins Japonais s'échoue avec une trentaine d'entre eux sur une île de l'archipel des îles Mariannes, nommée Anatahan. Sur cette petite île , ils rencontrent en l'explorant, ses seuls habitants, un homme et une femme laissés sur place pour entretenir une petite exploitation. Peu à peu, tour à tour, chaque marin convoite la seule femme de l'île qui n'est pas insensible à certains d'entre eux. Le réalisateur s'est appuyé sur cette histoire qui remua les consciences au Japon quelques années après la fin de la guerre. Von Sternberg, en profite pour tenter de brosser une partie de la mentalité primitive de l'homme qui se révèle lorsqu'il est débarrassé de ses attributs culturels. Le film est une grande réussite. Au plan formel, les acteurs s'expriment en japonais qui n'est pas traduit pour le spectateur. Ce dernier se raccroche à une voix off qui commente l'action. Le procédé facilite la distanciation avec les personnages et l'action. Tres different du reste de l'oeuvre de son auteur, c'est sans doute un de ses meilleurs films. Dans un registre thématique voisin, celui qui consiste à révéler une partie de la nature humaine et de ses développements au sein d'un groupe d'individus, Peter Brook adaptera "sa majesté des mouches" et John Boorman mettra en scène " duel dans le Pacifique ". "fievre sur Anatahan " est un très grand film que tout aficionado du cinéma d'auteur se doit de connaître. On peut juste regretter la qualité de la photo qui ne rend pas justice au dernier opus de Sternberg.
« Fièvre sur Anatahan », inspiré par une histoire authentique, est le film testament de Sternberg, avec ses deux thèmes de prédilection que sont l’irréalité et la fascination pour une femme. Ici ce sont des soldats Japonais échoués sur une île déserte qui vont vivre des années hors de la réalité, dans l’ignorance que la guerre est finie. Et qui refusent à plusieurs reprises cette réalité quand elle se propose à eux. La fascination pour la femme est elle aussi la conséquence inéluctable de la situation : il n’y en a qu’une sur l’île. La possession de cette femme est alors un enjeu majeur, comme moyen et comme but d’accès au pouvoir. L’autre symbole du pouvoir étant la détention des deux armes découvertes sur l’île. Pour cette histoire, Sternberg a fait un choix bien singulier : les dialogues -en Japonais- ne sont pas traduits, ni sous-titrés, c’est la voix off d’un narrateur (un membre du groupe de soldat dont le spectateur ignorera jusqu’au bout duquel il s’agit) qui raconte ce qui se passe et ce que les personnages se disent. Ce parti pris quelque peu déstabilisant au départ, le style répétitif et lancinant touchant à la fascination, et l’originalité de la situation décrite font de ce film une très intéressante curiosité.
L'oeuvre ultime de Sternberg est un excellent testament artistique. C'est au Japon qu'il a filmé cette étrange et généreuse fresque, qui regroupe tous les plus grands thèmes du maître. A voir pour tous cinéphiles qui se respectent.
En 1945, sur une île perdue du Pacifique, des soldats japonais ignorent que la guerre est finie; ils s'affrontent pour la possession d'une femme qui vit là, avec son vieillard de père, prêts à s'entre-tuer jusqu'au dernier. C'est un film épique, cruel et sauvage, mais en même temps teinté d'un profond humanisme, avec des images d'une beauté envoûtante : du grand art, l'avant-dernier film de Sternberg, et sans doute l'un des plus forts.