"L'héritier" fait partie de la période où Belmondo alterne encore les projets à dimension artistique et les films de pur divertissement dans lesquels sa carrière basculera presque complètement à partir de l'échec cuisant de "Stavisky" d'Alain Resnais en 1974. Philippe Labro est un grand admirateur de l'Amérique qu'il a visité dans sa jeunesse et de son cinéma. Son amitié avec Jean-Pierre Melville n'a fait que renforcer cette influence qui se ressent dans ses films plutôt tournés vers l'efficacité. Pour le scénario, il se fait aider par Jacques Lanzmann, l'écrivain parolier (Jacques Dutronc, France Gall,...), avec qui il a entamé une collaboration d'écriture depuis "Sans mobile apparent" (1971). Le capitalisme est en train d'évoluer et les grandes familles qui faisaient autrefois la pluie et le beau temps en France laissent progressivement la place aux multinationales déshumanisées. Barthelemy Cordell (Jean-Paul Belmondo), dit l'héritier, est l'un des derniers représentants d'une économie dynastique qui va rencontrer les pires difficultés à prendre la succession du patriarche, mort dans des circonstances douteuses lors d'un accident d'avion. Habilement, le scénario brosse en parallèle le portrait d'un jeune homme ambitieux aux manières plutôt rustres, notamment avec les femmes, nées de son apprentissage précoce de la pratique autoritaire du pouvoir et
l'intrigue qui nous emmène jusque dans les tréfonds de l'extrême droite fasciste italienne
. Belmondo, plutôt sobre, est parfait en capitaine d'industrie tout à la fois séducteur, incisif, madré et brutal, trouvant là une respiration bienvenue au sein de ses "belmonderies" guignolesques gâtent progressivement son jeu depuis une petite dizaine d'années et qui iront jusqu'à le pourrir complètement durant la décennie 80. Labro, à la française, livre mine de rien son film paranoïaque précurseur, certes en moins ambitieux, du trio magique américain que constituèrent deux ans après "Conversations secrètes" de Francis Ford Coppola, "A cause d'un assassinat" d'Alan J. Pakula et "Les trois jours du condor" de Sydney Pollack. Aux côtés de Belmondo, défilent ses partenaires habituels que sont Charles Denner, Jean Rochefort ou Michel Beaune. Si l'on y ajoute Jean Desailly et l'immense François Chaumette, on comprend que Labro n'a pas eu à répéter vingt fois l'esprit ou la géométrie des scènes. Du côté féminin les très belles Maureen Kerwin et Carla Gravina donnent toute la subtilité requise à cette histoire de loups s'entre-dévorant que Labro, ancien journaliste, traite par moment à la matière d'un reportage d'informations, lui enlevant un peu de son côté sulfureux par une exposition trop visible des enjeux. Sans doute déçu de ne pas voir Belmondo suspendu à un fil ou en équilibre sur le toit d'un métro lancé à pleine vitesse, le public à moyennement répondu présent si l'on compare "L'héritier" aux films précédents de l'acteur (26ème box-office de la carrière de Belmondo). Un très bon cru qui confirme que Labro est un vrai réalisateur et que Belmondo a sans doute eu tort de ne pas perséver dans une exigence artistique qui lui aurait permis un dernier tiers de carrière plus digne de son talent.