Sur la nuque d’Olivier, les frères Dardenne dessinent avec «Le Fils» (Belgique, 2002) la tragédie d’un homme. Enseignant menuisier dans un établissement scolaire, Olivier vient un jour à faire la connaissance d’un jeune adolescent, assassin accidentel de son fils plusieurs années auparavant. Dans une trame linéaire qui, comme souvent chez les Dardenne, laisse clairement voir le problème narratif et sa résolution, Olivier et Francis, le jeune garçon, parcourt un chemin de croix jusqu’au pardon. La grande force du cinéma des Dardenne réside dans l'infusion insensible des signes au sein des images. Les décors sombres, d'une teinte boisée ou d'un ciel grisonnant, environnent les situations dans une atmosphère solennelle pour que se produise pour Olivier, avec la mesure de la gravité, la transposition du fils en la personne de son meurtrier. Difficile de croire à un tel procédé psychologique. Cette invraisemblance des rapports humains est un gageur que les Dardenne, par le truchement du naturalisme de leur oeuvre, réussissent à rendre crédible. Sans pathos (grand soulagement que nous offre leur cinéma), sans tragédie (tout ne fait que suivre le cours des évènements, quelle que soit la profondeur sordide des faits), sans anémie, «Le Fils» a la grande beauté d’être modeste, de faire du cinéma le moyen commun d’évoquer une histoire, une intimité potentiellement universelle. Plus évolue le cinéma des Dardenne, plus il s’atèle aux drames des petites gens. Le génie de leur opération est de réussir, à travers des moyens discrets, par le truchement d’une intrigue simple, avec des interprétations d’acteur ténues, à exprimer des sentiments profonds, subtils. Pour apprécier la semblable chronique de «Le Fils», il faut percevoir les infimes signes qui se cache dans la forme effacée de leur cinéma. A l’instar d’Howard Hawks qui vouait son cinéma à la cicatrisation du montage, à l’effacement des traces, les Dardenne font de même, avec les moyens modernes.