Les emprunts des Triplettes de Belleville
Le film d'animation de Sylvain Chomet " les triplettes de Belleville " est récemment sorti sur les écrans. Les médias et le grand public ont pu, à cette occasion découvrir ce travail, analyser ses qualités, ses trouvailles, ses inspirations, ses influences. Concernant ce dernier point, l'auteur lui-même se charge de nous indiquer, au générique de fin, sous quel double parrainage post-mortem se place son oeuvre: Dubout et Tati.
Quand on prend le soin de nommer ceux auxquels on est redevable mieux vaut n'oublier personne. Dans le cas des triplettes de Belleville, l'oubli se révèle fâcheux.
Il nous paraît donc nécessaire, d'apporter un complément d'informations, sur cette question.
On a en effet parlé, au sujet de ce film, de l'extrême richesse de l'univers visuel, des magnifiques décors.
Si l'on regarde avec attention (et encore point trop n'en faut tellement le geste est évident), on constate que le traitement graphique des décors provient, au tremblement de trait près, du travail de Nicolas de Crécy. A tel point que " l'inspiration " frôle le pur travail de copiste, sans aucun effort d'assimilation, ré-interprétation, ou citation. Non, le décorateur du film semble au contraire avoir été saisi d'une sévère et intense fièvre mimétique.
Il faut pourtant savoir que De Crécy est l'auteur de l'intégralité des décors du précédent film de Sylvain Chomet, mais aussi un des initiateurs de " La vieille dame et les pigeons ". Peut-être Chomet a-t-il voulu placer son long-métrage dans cette continuité graphique, mais pourquoi sans faire appel à De Crécy lui même, et surtout sans daigner souligner l'importance son influence dans la réussite et dans les inspirations de son film ?
Gageons qu'il s'agit là d'un oubli.
Il y en a, malheureusement, quelques autres...
Ce Belleville du film de Chomet , paysage / protagoniste largement acclamé par les critiques, mélange hybride de mégapole hypertrophiée américano-parisienne. Pour sûr une belle trouvaille, mais comment ne pas penser que ce " Belleville " est très, disons, " inspiré " du " New York sur Loire " de ce même Nicolas de Crécy , créé dans l'album " Le Bibendum céleste " paru il y a quelques années déjà.
Alors ? Oubli, référence inconsciente, appropriation ?
Cet énorme transatlantique, qui sillonne les pages de l'oeuvre de de Crécy, caractère si monumental de son univers, par quelle magie se retrouve-t'il naviguant sur la pellicule de Chomet ?
On connaît les courants d'air, salubres et nécessaires, circulant entre les oeuvres des créateurs; l'inspiration est la chose la mieux partagée dans le domaine des arts. Les citations inconscientes, les hommages, les emprunts féconds, imprégnations, filiations, plus ou moins directes et réussies, sont l'histoire de l'art.
" Tout ce que j'aime, je le vole " disait Picasso.
Mais Chomet et De Crécy ont fait un long et fructueux bout de chemin ensemble il y a quelque temps déjà, avec comme point d'orgue l'alph-art du meilleur album à Angoulème (Léon la came). Avec De Crécy dessinateur et metteur en cases du scénariste Chomet. Il subsiste, dirait-on, un amour vorace, presque " cannibale " de cette collaboration.
On se met, alors,à penser à un autre titre pour " Les Triplettes de Belleville " un titre d'Ettore Scola : " Nous nous sommes tant aimés ".
Dubout et Tati, entrés au panthéon, constituent une belle caution pour le travail de Chomet, ils présentent en outre l'avantage d'êtres morts. Par chance pour lui, De Crécy est bien vivant, or, c'est bien connu, les vivants gênent un peu plus que les morts.
Si les mérites du film de Chomet lui sont largement imputables, reconnaître ce qu'il doit au travail de Nicolas de Crécy permettrait qu'un oubli ou mesquinerie ne se transforme pas en malhonnêteté artistique.
Et cette question se pose avec d'autant plus d'acuité qu'en tant que scénariste émérite, Sylvain Chomet aurait pu, soit continuer sa collaboration fructueuse avec Nicolas De Crecy, soit, puisque c'est aussi un bon graphiste, choisir de développer un style qui lui serait propre.
Par ailleurs, il est étonnant que la presse et le milieu professionnel se soient gardés de s'interroger sur ce problème évident de paternité. Mais peut-être doit-on mettre cela sur le compte d'un certain corporatisme existant dans l'industrie de l'animation, sachant que les futurs montages financiers sont tributaires du succès des films à l'affiche actuellement.
Un collectif d'artistes, d'auteurs, de réalisateurs et de techniciens de l'animations :
Lorenzo Récio, Serge Elissalde, Fabrice fouquet, Jean-charles Finck, Sandrine Stoïanov, Alain Amielet, Candice Hayat, Lauranne Ponsonnet, Marysa Musi, Zyk, Jérémie Hoarau, Emilie Van Liemt Mercier
Oeuvres de Nicolas De Crécy
" prosopopus " ed dupuis 2003
" Léon la came : laid pauvre & malade " ed casterman 2002
" Léon la came : priez pour nous " ed casterman 1998
" monsieur fruit " tome 1 &2 ed seuil 1995/1996
" Le Bibendum celeste " tome 1 à 3 ed casterman 1993
" Foligato " ed casterman 1992