Les Cœurs du monde n’est pas le Griffith le plus connu. C’est un film muet qui non sans présenter un intérêt, reste cependant assez mineur, surtout pour l’un des pères du cinéma.
En fait le film est réussi d’un côté, et un peu loupé de l’autre. La partie réussie c’est celle qui cultive les sentiments. Griffith réalise un film sensible, développant une belle histoire d’amour, et même si ça baigne parfois dans un romantisme un peu fleur bleu (sans doute pour accentuer le contraste avec la guerre), c’est une jolie histoire. Il y a de la sensibilité, de la joie, et de l’humour aussi, amené notamment par le personnage haut en couleurs de Dorothy Gish. Là-dessus rien à redire de spécial. En revanche, Griffith loupe le fond historique. La Grande Guerre devrait jouer un rôle important, et pourtant, compte tenu de la faiblesse des scènes qui la montre, de leur consensualité, de leur dimension parfois strictement documentaire, de la quasi-absence de combats, on peine à croire à ce fond martial. C’est dommage, car ça affadi un peu le mélodrame auquel on devrait assister.
Cette ambiguïté se révèle évidemment sur la forme. Tandis que Griffith orchestre bien sa première partie, qui se passe avant la guerre, et parvient de nouveau à nous offrir un final trépidant, avec une mise en scène rythmée et intelligente, au milieu il y a pas mal de ratés. Malgré quelques scènes fortes (la femme qui s’endort près du soldat), la guerre se résume en alternant des stock-shot (le film devait originellement être documentaire) et des gros plans qui ne permettent jamais de se rendre compte du cadre, du décor, et donc d’envisager la guerre au-delà de quelques personnes dans des tranchées et de subreptices séquences d’assauts. Ça manque de puissance, c’est indéniable, mais peut-être que Griffith n’est pas le véritable coupable, puisqu’il ne s’est, je crois, pas chargé directement des scènes de guerre. Cela pourrait justifier la différence de traitement.
Le casting est emmené par le duo des sœurs Gish. Si Lilian est marquante dans le rôle principal, pour autant c’est bien Dorothy Gish qui a ici le plus retenu mon attention. Non seulement elle a un rôle bien plus piquant, original, mais son jeu est excellent. Elle impose des mimiques, une gestuelle, qui retiennent de suite l’attention. Autour de ce duo, Robert Harron, jeune premier idéal pour une telle histoire, qui décédera prématurément deux ans plus tard, mais aussi Robert Anderson et l’imposant George Siegmann. Ce dernier n’est pas pour rien dans l’excellence de la fin du film, et il impose un personnage dur.
Pour ma part, Les Cœurs du monde n’est pas le meilleur film du réalisateur, mais il reste correct. Le souci c’est vraiment que la partie « guerre », même si c’est davantage un arrière-fond que l’élément décisif du film (ce métrage n’est pas un film de guerre), n’est pas à la hauteur du reste. Le décalage est tout de même préjudiciable au ressenti qu’on peut avoir. 3