Si vous attendez une belle histoire avec un flic intègre, passez votre chemin, ce film (peu commun) n'est pas fait pour vous. Avec "Bad Lieutenant", Abel Ferrara sort plus que jamais des sentiers battus et nous propose une terrible descente aux enfers. Harvey Keitel incarne un lieutenant de police new-yorkais pourri jusqu'au trognon. Ce dernier cumule les délits en tous genres : la consommation de drogue, l'alcool en service, ainsi que les propositions indécentes et totalement illégales. Comme si cela ne suffisait pas, il accumule des dettes de jeu contractées auprès des bookmakers de l'agglomération new-yorkaise. Le lieutenant, doté de tous les vices, est une sorte d'électron libre qui mène sa vie comme bon lui semble (ou presque). Il n'hésite pas, sur certaines scènes de crimes, à voler des produits stupéfiants (qui seront destinés à sa consommation personnelle) sur les corps des victimes. Entre deux affaires, il lui arrive de se rendre chez une femme toxicomane (une de ses connaissances), afin de se shooter en sa compagnie. L'histoire se déroule essentiellement en milieu urbain, ce qui donne à ce film un certain côté étouffant. La question n'est pas de savoir si le personnage principal va sombrer définitivement, mais de déterminer à quel moment cela va se produire. Il faut bien le dire, Harvey Keitel est magistral, en effet, se transformer en loque humaine n'est pas chose aisée. Pour l'anecdote, il se murmure que les prises de drogue et d'alcool furent réalisées sans trucages, ce qui donne une dimension supplémentaire à ce film s'il en était besoin. La thématique réside avant tout dans la rédemption, Harvey Keitel, conscient de sa médiocrité et de ses antécédents sulfureux, tente de se racheter à sa manière. Ainsi, il va enquêter sur le viol d'une religieuse commis dans une église de la ville. À ce sujet, la scène où Harvey Keitel s'agenouille à côté de la nonne (incarnée par Frankie Thorn) résume à elle seule cette œuvre d'Abel Ferrara. Elle souligne, telle une fatalité, que le flic véreux ne parviendra jamais à atteindre la force mentale de la religieuse (cette interprétation n'engage que moi), il s'agit probablement de la séquence la plus importante du film, car si certains ont la force de pardonner, d'autres échouent dans leurs initiatives liées aux rachats de leurs péchés. L'excellent Harvey Keitel (dont la filmographie en tant qu'acteur est impressionnante) porte à lui tout seul ce long-métrage sur ses épaules. Il existe tout de même une certaine moralité dans cet océan de décadence, consistant à dénoncer les faiblesses des hommes. Abel Ferrara démontre que malgré un scénario à première vue basique, l'audace d'un réalisateur peut avoir la faculté de transformer la laideur en beauté, c'est aussi pour cela que "Bad Lieutenant" est unique en son genre.