C'est d'une manière quasiment naturaliste que Ferrara filme Harvey Keitel, remarquable en flic verreux, dans les rues et les appartements miteux du Bronx. Murs sales, jaunes, ocres, cages d'escaliers, boîtes de nuit, gueules de bois, sexe, dope, alcool, jeu, mais tout cela filmé sans frime, froidement, à la différence de nombreux autres films qui abordent les mêmes thématiques. « Bad Lieutenant » est un film sur le vice et la déchéance morale, et tient résolument ce point de vue: Ferrara ne permet pas à son personnage de nous séduire, il ne joue pas avec la figure du flic pourri qui serait quand même sympa, ou drôle, ou au moins puissant et respecté, par les femmes ou les gangsters; il ne joue pas non plus avec l'attrait que peuvent provoquer le sexe ou la drogue. Techniquement enfin, le travail est sobre, il n'abuse pas de la caméra à l'épaule ou autre effet de style censé être adéquat au sujet traité. L'homme que l'on suit presque chaque plan du film est un homme perdu et misérable, ce qu'il reconnaîtra, gémissant dans une Eglise, après la rencontre avec une jeune nonne violée qui pardonne déjà à ses agresseurs. A quatre pattes, devant un Christ réel ou halluciné, il implorera : « I'm week, I'm too fucking week! I need you! Help me! ». Alors qu'il est au plus bas, se profile la possibilité de la rédemption. Une petite lumière donc, dans ce film extrêmement sombre.