Qui a dit que les romans de Bret Easton Ellis étaient inadaptables ? Après un American Psycho osé d'une réalisatrice qui a donné son meilleur rôle à Christian Bale, voici que Roger Avary se plie à la tâche du non moins barré Rules of attraction. Personne d'autre que ce "génie fou" tel que l'a surnommé B.E.E aurait été capable de capter avec autant de justesse ce qui ressort du livre, d'y inculquer une forme qui fait honneur à l'écriture furtive de Bret, et même d'en transcender les écrits. Car, si le livre est probablement le moins bon de la bibliographie de l'auteur américain, nul doute que l'adaptation est l'une des meilleures de l'histoire du cinéma. L'éloge serait trop osée si le résultat n'étais pas aussi prodigieux.
Le film est un condensé d'ingéniosités constantes, qui n'apparaissent pas superficielles ou prétentieuses mais en parfait accord avec le discours du scénario. D'une séquence d'introduction d'anthologie rythmée à deux cent à l'heure en passant par des split screens inspirés et une scène de suicide un coup touchante et un coup hilarante, le sublime se fond dans le cadre. Avary a même le culot de finir le film de la même manière qu'Ellis finit ses phrases, en oubliant les points. Le génie du réalisateur transfigure littéralement la vie de Camdem pour nous livrer une expérience universitaire diabolique dans tous les sens du terme. Un profond regard porté sur des jeunes à la dérive, dont les apparences glaciales ne cachent que des hurlements internes. Un des personnages se prend pour un vampire, et le film se résume à cela, une chasse constante, des morsures furtives, une nuit interminable et une peur chronique du soleil, et du sommeil.
Rien ni personne n'entrave cet enchaînement de séquences toutes aussi jouissives les unes que les autres. Un casting de premier choix donne aux personnages Ellisien l'ampleur qu'ils méritent, comme Victor, héros du futur Glamorama, qui a le droit à un passage qui résonne encore dans mes oreilles, vibrant avec autant d'intensité après deux, trois ou quatre visionnages. Ou encore Shanny Sossamon qui est là dans un registre qui lui sied à merveille, séduisante et complexe comme jamais. D'une vie d'égoïsme se créer un partage ahurissant que seuls nous autres spectateurs parvenons à apprécier sans remords. C'est une véritable expérience, à prendre avec le sourire ou non, à creuser ou non, mais une expérience qui est sûre d'une chose : vous faire prendre votre pied comme jamais.
Rogery Avary glisse sur l'image ce que Ellis glisse sur les pages, et le film glisse dans notre gorge comme une pilule d'ecstasy, psychédélique et brûlante, qui nous retourne à l'envers et nous fait en demander plus. Toujours plus.