1880 en Angleterre ; une gouvernante débarque dans un manoir pour s’occuper de deux jeunes orphelins. Leur oncle est démissionnaire. Le manoir va progressivement livrer des secrets et libérer deux fantômes inquiétants à moins que les fantômes ne soient que l’imagination d’une gouvernante en route vers la folie. Le film joue en fait sur cette ambigüité. Le manoir est donc une personne à part entière. L’angoissante est distillé par petites touches succinctes, on monte quand même bien en pression. Dommage que le film révèle trop vite des questions qui auraient pu rester sans réponse ; le roman est paraît il plus angoissant et mystérieux. Ce film resté confidentiel à sa sortie est malgré tout un chef d’œuvre passé à côté d’une notoriété grand public car il pose certaines bases du film d’horreur à venir. De fait il est une référence pour certains réalisateurs ; très vite, on fait le lien avec « Les autres » d’Amenabar (qui ne se cache pas de s’en être inspiré). Ce dernier arrive par contre à maintenir encore mieux la tension et les mystères que dans « Les innocents ».
Notons que ce film a été interdit au moins de 12 ans à sortie… Le traitement de la sexualité, de la pédophilie voire de l’inceste (même à touches légères, on est en 1961) a pu choquer à l’époque.
Sur ce film, sur le blog « Citizen Poulp », j’ai lu une critique complète et excellente… Pourquoi tenter d’en rédiger une quand d’autres frôlent l’excellence… Bonne lecture :
« Le tour d'écrou, roman d'épouvante psychologique de Henry James, se prêtait difficilement à une adaptation cinématographique. Mais grâce à un script hors du commun des deux scénaristes géniaux que sont William Archibald et Truman Capote, la mise en scène sans faille de Jack Clayton et une photographie somptueuse signée Freddie Francis; Les Innocents est, ni plus ni moins, un des grands chefs d'oeuvres du cinéma fantastique.
Le film commence par un écran noir de près d'une minute, tandis que résonne une chanson évoquant la mort et de la douleur de la séparation. La voix cristalline de l'interprète, une enfant, est hésitante, tremblotante, et génère immédiatement un sentiment de malaise. Sentiment renforcé par la lente apparition de logo de la FOX sur ce chant lugubre, alors que l'on est plutôt habitué à le voir s'étaler au son d'une fanfare de trompettes tonitruantes...
Puis l'écran redevient noir, le chant s'estompe pour laisser la place à un agréable pépiement d'oiseaux, et tandis qu'apparaissent les noms de l'actrice Deborah Kerr et du réalisateur Jack Clayton, le chant des oiseaux est remplacé par les sanglots déchirants d'une femme, dont les mains jointes en une prière suppliante prennent possession de l'écran et viennent souligner le titre du film : Les Innocents.
Drôle d'entrée en matière, qui conditionne admirablement le spectateur à l'ambiance lourde du film. D'autant que cette femme suppliante n'est autre que Deborah Kerr, l'actrice principale, dont on entend des brides de prière : "Ne leur faites pas de mal... Plus que tout au monde, j'aime les enfants..."
Après ces pesantes minutes, le film peut commencer : Dans un bureau cossu, un homme riche est en entretient d'embauche, et nous retrouvons notre actrice principale, postulant pour un emploi de gouvernante.
"Les enfants ont besoin de plus qu'une simple gouvernante. Il leur faut de l'affection, de l'amour... Une personne à qui ils appartiendront... et qui leur appartiendra..."
Drôle de termes, en forme de prophétie, choisis par cet oncle ayant recueillis ses neveux orphelins. Incapable de s'en occuper lui même, il les a exilé au fin fond de la campagne anglaise, dans une luxueuse propriété victorienne un peu lugubre. Laissant reposer sur les épaules de la gouvernante tout l'amour et l'éducation dont il ont besoin.
L'arrivée de cette nouvelle gouvernante dans la propriété va mettre à jour d'étranges phénomènes qui vont lui laisser penser que sous les sourires d'anges des deux jeunes enfants, se cache la lubricité d'un couple de serviteurs récemment décédés et qui tente de revivre sa passion amoureuse à travers les corps des deux innocents.
Dès lors, les bêtises de Miles et Flora, les deux enfants, leurs parfois étranges réactions, vont amener Miss Giddens, et avec elle le spectateur, à s'interroger sur leur véritable innocence, et à s'inquiéter de leur regards et de leurs sourires d'angelots...
Flora, fascinée par le spectacle d'une araignée dévorant un papillon.
Miles, renvoyé de son école, accusé d'être un danger pour les autres élèves, de les contaminer... de les corrompre...
Flora, jouant à des jeux sadiques avec son animal de compagnie.
Miles, qui semble voir ce qui se cache derrière les portes closes.
Flora, son regard clair, son sourire si doux et qui pourtant appelle le malaise.
Miles, l'enfant adorable qui retient à peine la violence qui le hante et qui cache des animaux morts sous son oreiller. Des animaux qu'on le soupçonne d'avoir tuer lui même.
Flora, la nuit, regardant au pied de son lit, dormir sa gouvernante.
Miles récitant, lors d'un jeu, un poème en forme d'incantation aux morts à venir rejoindre les vivants.
Des enfants aux expressions verbales trop adultes et à l'intelligence trop vive pour leur âge...
Les Innocents est avant tout un film de fantômes ; un film fait pour faire peur et instaurer un climat paranoïaque, et qui y réussit admirablement. La force des scénaristes et du réalisateur va être d'insuffler cette peur par petites touches successives et légères.
Tout d'abord grâce à une bande son absolument remarquable. Outre la lugubre, douce et obsédante, chanson d'ouverture, revenant, susurrée comme un leitmotiv par la jeune Flora. Les ambiances sont générées par des signes annonciateurs de la présence du Mal : des échos lointains, le bruissement du vent dans les feuillages ou dans les rideaux, se transformant en voix sépulcrales à peine audibles, comme des appels de l'au-delà ; par des cris d'animaux déchirant la nuit et faisant sursauter le spectateur. Et lorsque cela arrive, la petite Flora dans un sourire inquiétant vous murmure à l'oreille : "Faisons semblant de ne pas entendre... pour ne pas s'imaginer des choses..." Glaçant !
Et puis il y a le rire des enfants. Un éclat de rire dément qui se déclanche toujours dans les moments où les adultes sont perdus, s'interrogent ou ont peur. Là ou chacun voit dans le rire d'un enfant un moment charmant, Les Innocents le transforme en moment d'inquiétude et de stress. Car aucun doute que les enfants, adorables innocents du titre, sont les gardiens de quelques redoutables secrets, et que leurs jeux prennent trop souvent l'aspect de véritables machinations.
Ensuite il y a la maison, personnage à part entière, au même titre que le jardin de la propriété. Là-bas on trouve d'étranges statues; images pieuses inquiétantes ou scènes païennes de couples enlacés, disséminées ici et là. Il y a la vieille tour, envahie par les mouches, au sommet de laquelle passent des ombres qui semblent vous fixer... Et puis il y a ces autres silhouettes évanescentes qui hantent une maison trop grande, que la gouvernante, au contraire des enfants, n'arrive pas à s'approprier. Les enfants, eux, ont fait de toutes ces pièces, souvent abandonnées, leur propriété privée et leur terrain de jeux, qu'ils partagent avec "les autres", dans d'incessants et lugubres chuchotements...
La grande question que pose le film réside dans une seule question : les enfants sont ils vraiment possédés par les âmes débauchées du couple de domestiques récemment décédés, ou bien est-ce simplement le délire, le phantasme, de la nouvelle gouvernante, vieille fille bigote, fille de pasteur qui nourrit un délire inavouable, obscène...
De nombreuses scènes sont équivoques et tendent à faire pencher la balance d'un côté comme de l'autre. Il règne indéniablement une tension sexuelle malsaine, qui tend vers la pédophilie, le tout sous le vernis pudique et élégant du cinéma anglais des années 60.
La fin du film ne donne pourtant aucune réponse à la question posée, c'est à la fois frustrant et libérateur, car il arrive un moment où l'on n'a même pas envie de tout savoir. Que les enfants aient été véritablement possédés ou qu'il s'agisse du délire de la gouvernante, le résultat est là, terrible, dramatique...
Le directeur de la photographie, Freddie Francis (à qui on devra l'excellent Le docteur et les assassins), délivre un noir et blanc somptueux dans un large format cinémascope. Son travail est d'une subtilité remarquable. Ses contrastes savent être doux en début de métrage pour s'accentuer à mesure que le film nous plonge dans la terreur, jusqu'à devenir aussi sombres, durs et violents, que l'action à la fin du métrage.
Les acteurs sont tous aussi formidables les uns que les autres. Outre Deborah Kerr, littéralement possédée par son rôle, le metteur en scène a su tirer des enfants des expressions incroyables. Leurs regards, leurs sourires, sont capables en un instant d'inspirer la compassion ou la terreur au spectateur. »