Le paradoxe truffaldien se trouve résumé dans un seul film : «La petite voleuse» (France, 1988) de Claude Miller. Dernier scénario écrit par Truffaut, avec Claude de Givray, il invente à son Antoine Doisnel un analogue féminin. La grandeur naturelle de Jean-Pierre Léaud laisse place à la candeur juvénile de Charlotte Gainsbourg. Il est question en l’occurrence de l’étrangeté du paradoxe truffaldien. Qu’est-ce que ceci ? Truffaut, digne représentant d’un cinéma du milieu, a cultivé cette dialectique artistique entre son statut de grand auteur de la Nouvelle Vague, faisant des films singuliers comme «Tirez sur le pianiste» ou «L’Enfant sauvage» et cette bourgeoisie enfouis définitivement dans la paralysie d’une certaine tendance du cinéma français. Dénigré le cinéaste au profit de cette dualité serait omettre qu’il apporta beaucoup au cinéma à une époque. Venons au film, œuvre qui nous concerne et qui est le fruit du travail de Truffaut. Retraçant les péripéties d’une fille cleptomane, Miller fait le portrait d’une jeune en mal-être, souffrant d’un mal universel : la crise d’adolescence. Donnant crédit à cette période injuste, Miller dessine la détresse de l’âge ingrat comme un cri alarmant. Une fourchette qui se plante dans le dos d’une main, voilà l’image étalon qui donne la couleur au tout. Gros plan sur les petites fourches enfoncées dans la chair, dès lors parsemée de sang, Miller fait tout gratuit, tout innocent, tout frivole. C’est la chronique d’une jeune fille qui rêverait d’être femme. Les chroniques fait-divers ne sont en elles pas de mauvaises choses, voyez Van Gogh qui nous peint le commun d’un prolétariat avec des teintes sublimes, lisez Zola qui écrit la vie des mineurs avec majesté, voyez Truffaut à ses débuts qui déjà dans «Les Mistons» faisait du néo-réalisme la pratique parfaite d’un cinéma intime. Miller lui n’a rien de l’esthétique de tous ceux-là. Ne reste plus que l’écume de leurs historiettes, la lie de l’anecdote, le moins intéressant.