En France comme en Italie, le cinéma dans les années 70 s'empare de la chose politique. Yves Boisset assistant-réalisateur des deux côtés des Alpes pour Yves Ciampi, Jean-Pierre Melville, René Clément , Claude Sautet, Riccardo Freda , Sergio Leone ou Vittorio de Sica est naturellement passé à la mise en scène en se faisant la main sur un film de commande avec "Coplan sauve sa peau" en 1968. Homme de conviction, il ne peut se tenir longtemps à l'écart des controverses que lui permettent de soulever son métier de réalisateur. Il n'est donc pas étonnant de le voir emboîter le pas de Costa-Gavras qui vient de réaliser deux films chocs avec "Z" (1969) et "L'aveu" (1970). Il choisit de relater l'affaire Ben Barka qui avait vu l'enlèvement sur le sol français le 29 octobre 1965 de l'homme politique marocain alors opposant au roi Hassan II dont le corps n'a jamais été retrouvé. La participation des autorités françaises à cet enlèvement ne fait aucun doute aux yeux de Boisset qui courageusement s'empare du sujet. Il n'a aucun mal à convaincre Jorge Semprun scénariste attitré de Costa-Gavras de s'engager avec lui dans l'aventure. Un casting prestigieux d'acteurs engagés rejoint le film pour comme le dit Yves Boisset dans ses mémoires ("La vie est un choix" en 2011), faire rempart contre la censure et les tracasseries éventuelles qui ne manqueront de se mettre en travers du projet. Michel Piccoli, Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Michel Bouquet, Daniel Ivernel, Bruno Cremer, Jean Bouise, Jean Seberg et François Périer viennent prêter main forte au jeune réalisateur pour tenir parfois des rôles secondaires. Mais le tour de force réussi par la production est d'avoir su attirer Gian Maria Volonté l'acteur engagé par excellence des films italiens d'Elio Petri , Francesco Rosi ou Giuliano Montaldo qui vient de triompher dans deux films mémorables de Petri "Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon" et "La classe ouvrière ira au paradis". Fort à son affaire, Boisset parvient à gérer tous les egos et à surmonter les empêchements que tente de lui infliger le gouvernement en place qui était déjà à la manœuvre au moment des faits. Didactique tout en étant passionnant, le film est sans équivoque sur la version des faits qu'il propose. Dans la foulée Boisset réalisera "R.A.S" sur le comportement de l'armée française en Algérie vis-à-vis des insoumis, tabou encore plus inavouable. Malgré toutes les embûches, le réalisateur continuera à traiter des sujets qui le préoccupent. Quand le cinéma lui fermera ses portes, il cherchera par le biais de la télévision à réhabiliter quelques personnages injustement accusés comme Seznec ou Dreyfuss dont les dossiers plus anciens sont plus adaptés au schéma télévisuel. L'ère du temps ne produit plus de cinéastes de ce calibre. On peut le regretter.