Je vais sûrement en choquer certains, admirateurs ou pas de Bertrand Blier, mais Les Côtelettes est sans aucun doute l’un de mes préférés de son oeuvre ! Je ne saurais dire pourquoi, pourquoi celui là et pas un autre. On y retrouve tout ce que j’aime le plus chez Blier, ici peut–être sous une de ses plus belles mise en scène : des personnages symboles dans un monde qui n’est pas la réalité, qui ne sont ce qu’ils sont et où ils sont que pour participer à la grande peinture animée d'une réflexion existentielle, philosophique, esthétique, sur la vie, sur les hommes, les femmes, ... Une mise en scène, toujours soignée à la virgule, très esthétique ! Un film théâtral (du fait de ses origines, bien sûr), ce qui participe sans doute aussi au fait que je l’aime tant. Et sans doute, encore, autour de ce contenu, le contenant : des acteurs, parmi les plus beaux (Michel Bouquet, Philippe Noiret, Farida Rahouadj, Catherine Hiegel, etc.), rendus comme jamais, plus que jamais eux–mêmes, eux les personnages, eux les acteurs, eux les hommes derrière les acteurs ; et nous, et moi le spectateur. Je suis fasciné de voir chaque fois Blier réussir à faire mettre autant d'émotions dans des personnages portés par des acteurs qui n'incarnent pas, ces personnages symboles, sans psychologie, et pourtant éminemment profonds ! Évidemment, des dialogues ciselés, écrins merveilleux pour ces diamants que sont les acteurs. On mélange tout ça, la fameuse recette Bertrand Blier, et ça donne Les Côtelettes !
J’aime surtout Les Côtelettes, je crois, parce qu’il révèle au premier plan, au premier degrés, l’essence même de la démarche de Blier, non pas l’absurde, je dirais — même si Blier lui même, vers la fin du film, s'amuse à le dire lorsque la Mort, que les deux personnages tentent de tuer, hurle "Mais enfin c'est absurde !" —, mais plutôt un renversement, la matérialisation de la psychologie des personnages, leurs pensées, leur vie, leurs histoires comme si on les avait ouvert et retourné, comme une veste. Les décors, les dialogues, tout en est la projection dans le "réel" du film, les personnages principaux ainsi éparpillés n'étant plus là que pour porter la cohérence de l'ensemble et en exprimer les symboles, nous dire, comme un conteur, ce que raconte le film. Il y a, peut–être, Les Acteurs, qui soit aussi à ce point bâti sur la radicale mise en évidence de la personnalité artistique de Blier. Mais Les Côtelettes a ceci en plus que les personnages sont vidés mais encore profonds et donc humain ! Ce film me bouleverse !
La fin du film est particulièrement belle d'ailleurs ! On sait que Blier n'est pas très bon pour finir ses film. Ici ne fait pas exception, mais comme c'est toujours un moment où il se relâche, moins contrôlé, moins réfléchit, plus à la va comme je te pousse, c'est une certaine naïveté qui ressort souvent, quelque chose de très puéril aussi, qui fait de Bertrand Blier un artiste attachant, et qui, je trouve, est une de ses meilleures fois ici dans Les Côtelettes, dans ce sens là ! Bravo !