"Humains... Mes enfants... Je suis de retour !" New York, 2095. Une pyramide flottante au-dessus de Manhattan. Un monde peuplé d'humains, soit normaux soit génétiquement modifiés, et de mutants. Une campagne électorale. Une multi-nationale pharmaceutique se livrant à des expériences fortement contestées. Un Dieu égyptien descendu sur Terre pour sept jours, ayant pour seul objectif d'assurer sa descendance. Un rebelle congelé depuis trente ans, décryogénisé un an plus tôt que prévu. Une jeune femme en pleine mutation venue d'on ne sait où, aux cheveux et aux larmes bleus. Un enchevêtrement de tous ces destins... Dans l'interminable liste des films français, cette adaptation de bande-dessinée se situe en haut du classement, en compagnie de quelques-uns de ses pairs qui ont su faire davantage que susciter un intérêt passager, qui sont parvenus à se démarquer des banalités habituelles afin de livrer du vrai, du grand cinéma. Dans l'immense liste des films de science-fiction, "Immortel (ad vitam)" a bien sûr sa place parmi les plus dépaysants, une de ses principales qualités. Et dans la moins grande liste des films d'animation, ce troisième long-métrage de Enki Bilal compte parmi les plus mémorables. C'est d'abord le travail effectué sur le contexte qui frappe : l'univers montré, d'une rare richesse, assure au spectateur une immersion totale et immédiate dans une histoire tout aussi tordue, mélangeant science-fiction, polar et mythologie dans une réalisation alternant prises de vue réelles et images de synthèse. Déroutant, oui, mais prenant de la première à la dernière minute, à condition d'être, comme moi, un partisan du dépaysement cinématographique (une grande partie des spectateurs est restée sur le carreau, comme l'indique cette moyenne déplorable et scandaleuse de 2,5/5). Les multiples intrigues s'emboîtent à merveille sans larguer le spectateur, et à aucun moment le nombre élevé de personnages ne compromet une écriture minutieuse de chaque rôle : la force et l'innocence de Jill, touchante car souvent perdue, la domination et l'ironie mordante de Horus, Dieu égoïste et obstiné, la rage et les sarcasmes de Nikopol, contraint de l'aider dans sa mission (un tandem de buddy-movie qui apporte au film sa dose d'humour), la personnalité insaisissable de John, le mystérieux passeur, le charisme de Froebe, flic balafré tout droit sorti d'un film noir... Formellement, le travail est parfait : on ne cesse de s'émerveiller devant des plans d'une beauté stupéfiante, des mouvements de caméra vertigineux, des silences judicieusement calculés, une musique rare mais qui se fait entendre exactement aux bons moments. Stylisé mais très humain, compliqué mais toujours ludique, sombre mais souvent drôle, ce film foisonnant d'idées ne ressemble à rien de ce qui a déjà été fait. Voici un chef-d'oeuvre dont on ressort marqués pour longtemps. "Immortel (ad vitam)", si méconnu soit-il, est à classer sans la moindre hésitation aux côtés des monuments de la SF.