Je passe sur les répliques balourdes, les prétextes à montrer muscles saillants, transpiration à grosses gouttes et autres démonstrations de virilité excessive – à prendre au douzième degré sous peine de trouver le film parfaitement ridicule.
Mais sans vouloir trop pousser l’analyse, et si les ressorts de l’intrigue restent faciles et dénuées de finesse (typiques du genre « survival » : ils sont 10, puis 5, puis 3…), il y a dans Predator au moins deux éléments qui retiennent mon attention : le sens allégorique qu’il est possible de donner à la créature et le traitement au niveau visuel de la traque.
Le Predator possède une force herculéenne. Il peut voir toute forme vivante de jour comme de nuit. Il combine usage de l’arme blanche et de l’arme à distance avec précision et efficacité (et aussi une grande cruauté !). Surtout, il maîtrise à la perfection l’art du camouflage.
J’y vois personnellement une forme d’idéal militaire. Cela me paraît d’autant plus évident que le film se passe exclusivement sur un terrain militaire, une jungle pour être précis. Dense et hostile, les soldats s’y déplacent avec difficulté, équipés du traditionnel treillis et camouflés par des peintures aux couleurs de la végétation. Mais le camouflage du Predator est bien plus élaboré : une quasi-invisibilité, lui permettant de se fondre littéralement dans le décor, couplée à un déplacement sur terre ou dans les airs dans le plus parfait silence. On comprend vite que la troupe d’élite menée par le musculeux Schwarzy n’est pas de taille, le Predator se révélant être la parfaite machine de destruction, totalement adaptée à son environnement, jusqu’à en épouser les formes, les couleurs, les contours ; une sorte de « guerrier idéal ».
Pour autant, le Predator a au moins deux talons d’Achille (et très humains qui plus est). Il est d’abord orgueilleux. Comme le dit le commandant Dutch, c’est « pour le sport » qu’il s’attaque à ses victimes : seulement celles qui sont armées.
Et c’est finalement par péché d’orgueil qu’il est vaincu, succombant à la tentation de se battre « à la loyale » avec le célèbre M. Muscle alors que celui-ci était à sa merci.
C’est d’ailleurs au moment où il ôte son masque et son armure qu’on se rend compte de son autre faiblesse (et c’est plutôt rigolo) : le Predator est monstrueux mais il est surtout parfaitement bigleux ! Et j’en viens au deuxième point qui m’intéresse, le traitement visuel.
Donc le Predator, grâce à son masque, repère les êtres vivants de jour comme de nuit. Ceux-ci sont représentés par des couleurs chaudes au milieu du bleu froid figurant la jungle. Le point de vue du Predator est donc tout axé sur les masses de chaleur (ce qui n’est pas sans rappeler, aujourd’hui, celui des drones), accompagné d’un bruit sourd et métallique au rendu angoissant. Associé à son art du camouflage, le regard du Predator est donc panoptique. C’est effrayant pour ses victimes, sans solutions, mais aussi pour nous, sans perspectives de salut pour les personnages. Sauf qu’à un moment,
Schwarzy, le dernier survivant bien entendu, se retrouve tout couvert de glaise. Le Predator s’approche de lui pour l’achever mais… ne le voit pas. Le soldat en comprend la raison.
Il va maintenant tâcher de résister au monstre en utilisant ses propres armes : le camouflage.
Cette « trouvaille » n’est pas qu’un bouleversement pour le personnage. Le regard du Predator était jusqu’à présent tout-puissant. Désormais, il ne l’est plus – ce qui sera encore amplifié par le retrait du masque au moment de l’affrontement. Un vrai renversement du regard, l’omniscience du point de vue n’appartenant plus à la bête mais au spectateur… enfin !