Une adaptation fidèle du roman de François Mauriac. Et pour cause : l'écrivain est coscénariste et dialoguiste du film. Ce qui donne une oeuvre très littéraire et classique, avec voix off et flash-back, à contre-courant de l'esprit "Nouvelle Vague" qui régnait alors. Mais la qualité est là, dans la précision du trait, dans la nuance du portrait de Thérèse Desqueyroux, qui s'inclut dans le tableau plus large d'une bourgeoisie de province.
François Mauriac et Georges Franju, s'appuyant sur l'interprétation impressionnante d'Emmanuelle Riva, donnent naissance à l'écran à un personnage fort et ambigu, d'une intelligence froide et calculatrice, finalement vaincu par un milieu qui l'écrase. C'est par ambition et intérêt que Thérèse épouse Bernard Desqueyroux, mais aussi pour se rapprocher de la soeur de celui-ci, pour laquelle elle éprouve plus que de la tendresse. Manipulatrice, elle voit peu à peu sa vie lui échapper, au nom des conventions, au nom de la famille. L'individu se dissout dans un collectif rigide et autoritaire. Les aspirations intellectuelles, singulières, sont étouffées par un esprit commun, matérialiste, étroit. La dépression se nourrit d'un vide existentiel de plus en plus abyssal. Et le geste meurtrier, coupable, apparaît davantage comme un geste d'une évidence désespérée, celui d'une victime, d'une prisonnière qui cherche à se libérer de ses chaînes.
Après les retrouvailles entre Thérèse et son mari, le récit tient de ce que Georges Lautner appelait "la sauvagerie des honnêtes gens" dans un film tourné un an plus tôt, Le Septième juré, autre charge implacable contre la bourgeoisie de province. Dur et noir, le récit de Franju devient tout empreint de mélancolie (qui trouve un écho dans les paysages pluvieux des Landes) et lourd d'un sentiment d'injustice, thème fétiche du cinéaste tout au long de sa carrière hétéroclite.
Si l'on excepte quelques longueurs et baisses de rythme, cette adaptation du roman de Mauriac est donc une belle réussite, laissant une impression de lucidité acérée, douloureuse et infiniment amère.
Philippe Noiret (très bon ici) retrouvera un autre rôle de châtelain, cette fois-ci débonnaire et aimable, trois plus tard, dans La Vie de château, de Jean-Paul Rappeneau.