Merci à Patrick Brion et à son cinéma de minuit de diffuser à la télévision des films aussi rare à l'écran. D'autant plus que les films de Georges Franju sont malheureusement "tombés" dans un relatif oubli. Mis à part "Les Yeux sans visage", chef d’œuvre éternel du maître de l'image. Comme "Thérèse Desqueyroux", précédent film de Franju, le style visuel de "Thomas l'imposteur" désarçonne au premier abord, mais s'avère être une mise en image "collant" fidèlement à l'esprit du roman éponyme de Jean Cocteau.
Sa mise en scène est un mélange d'académisme et de fulgurances poétiques saisissantes à la portée symbolique forte. Un sentiment d'étrangeté romantique noire, flirtant avec le merveilleux, se dégage de l'oeuvre pour mieux faire ressortir l'absurdité de la guerre et des combats, notamment le célébre plan du cheval à la crinière en flamme, la scène où la Princesse de Bormes (Emmanuelle Riva) et Thomas (Fabrice Rouleau) sont aux prises avec les bombardements sur le champ de bataille, où, encore, la manière dont Franju filme les plages du Nord, faisant ressortir par la beauté de ses plans larges, l'isolement des soldats, la désolation et les stigmates que laissent derrière eux les combats. Jean Cocteau n'aurait pas renier cette mise en image de son roman. Car, ici, la guerre paraît comme un "cauchemar" baroque et féérique. Il y aussi la figure surréaliste du personnage incarné par Rosy Varte (Madame Valiche) dans deux scènes qu'elle marque de sa théâtralité sombre et de sa fantaisie primesautière (le spectacle donné aux soldats).
L'esprit de Jean Cocteau plane d'autant plus sur le film que le narrateur du film, n'est autre que Jean Marais, à la diction particulièrement théâtrale et poétique.
Le choix d'Emmanuelle Riva (muse de Franju), à la voix et à la diction si personnelle et mélodieuse, dans le rôle de la Princesse de Bormes, participe à la poésie de l'entreprise. Quant au jeune Fabrice Rouleau, qui incarne Guillaume-Thomas de Fontenoy, le rôle titre, ses regards traduisent désarroi, souffrance et solitude.
Certes, je ne peux m'empêcher de penser tout de même ce qu'aurait fait Cocteau de son roman, s'il l'avait lui-même réalisé. Certainement plus d'étrangeté et de baroque surréaliste que n'ose le faire Franju, peut-être "gêné" par le poids et l'ombre planante de Cocteau, qui a lui-même écrit l'adaptation de son roman qu'il comptait mettre en scène avant que la mort ne vienne le faucher.
Cette retenue empêche Franju de s'affranchir de la vision du père de l’œuvre par peur de trahir son esprit, d'où un certain académisme figé. Alors qu'il fallait peut-être "trahir" la vision de Cocteau, pour faire de ce film une œuvre de Franju à part entière, où justement, l'atmosphère aurait été encore plus noire et poétique. C'est peut-être ce que Cocteau aurait "souhaité"...