Robert Mulligan, discret dans la machine Hollywoodienne, s’extirpe des rouages de la comédie afin d’amorcer un exercice de style qui lui convient parfaitement. Si ses précédentes œuvres ne suggèrent pas plus d’attention que cela, il est nécessaire de rappeler l’origine de son succès, qu’il tient dans une persévérance remarquable. Lui et son scénariste Horton Foote assurent l’adaptation du roman d’Harper Lee. Le premier détail qui frappe, et ce sera d’ailleurs le thème principal du récit, il s’agit du titre français. Mettant en avant un travail soutenu au niveau de la photographie, la réalisation ne dénaturera pas non plus l’authenticité du titre, qu’est « To Kill A Mockingbird ». On se penche rapidement dans un jeu de repères symboliques, où l’on ne relâchera jamais la pression sur les enjeux que chaque protagoniste aura à éprouver.
Commençons chronologiquement avec l’âge innocent et influençable qu’illustre l’enfance. Jem (Phillip Alford) et Scout (Mary Badham), sont respectivement frère et sœur, âgés de dix et six ans. Ils définissent avant tout le support scénaristique privilégié dans toute réalisation universelle, afin que l’empathie se partage plus aisément à leur égard. On prend alors le temps d’installer l’archétype du fantastique que tous les jeunes esprits savent pleinement exprimer. Le quartier se transforme en air de jeux mettant en valeur les peurs enfantines. La saison des vacances dont ils profitent leur permet également de conter et d’explorer les rumeurs de personnalités « fantomatiques ». Arthur ‘Boo’ Radley joue cet intermédiaire et suscite bien des réflexions quant à la véracité de ce qui se raconte. Bien entendu, la vivacité de l’esprit, alliée au recul nécessaire, est de rigueur afin de préserver l’âme d’êtres en pleine construction mentale.
Puis peu à peu, la distance avec la réalité se mesure à travers leur éducation. Il s’agit également d’un élément complémentaire dans la lecture d’un drame. On assume pleinement le regard subjectif d’un enfant lorsqu’il est face à une force qui le dépasse. Ici en l’occurrence, l’enfant bute sur l’approche de l’âge avancé qui n’est pas toujours synonyme de sagesse. Malgré tout, leur père soutient cette figure et les guide avec rationalité et honnêteté dans un monde indomptable. Atticus Finch (Gregory Peck) est cette figure paternelle et autoritaire qui œuvre pour la justice de tous les hommes sans exception. A partir de ses principes, forts en charisme et en efficacité, chacune de ses interventions à l’écran est d’une fulgurance bluffant. On y croit en cette éducation, valorisant les valeurs qu’il amène avec un soupçon de réalisme aux yeux de ses enfants. Et bien qu’il ne rompe pas entièrement la frontière de l’imaginaire qui les font vivre, il respecte leur volonté et leur intimité de découvrir un monde plein de surprises.
Cependant, la famille se trouve rapidement confronté à la violence engrenée par le procès de Tom Robinson, un noir. Tout comme l’école que l’on évoque à peine, on découvre que Scout est constamment en pleine révolte contre son enseignante. Cela se réfère principalement à la divergence des points de vue entre elle et son père qui s’opposent distinctement. Ce qui est dommage, c’est d’avoir sacrifié cet aspect qui aurait sans doute illuminé quelques zones brouillées et discrètes du récit. Cela dit, tout se ramène à la cohabitation d’un univers d’enfants et d’un univers d’adultes, que l’on transpose respectivement dans la cabane et la maison. Quand vient le procès, la scène où le débat fait rage entre les prétendues victimes et l’accusé n’est rien d’autre qu’un lieu de neutralité morale. C’est ce que l’on aimerait penser bien entendu, or la réalité se redessine à travers le contexte d’une ségrégation encore vivante. Les plans séparant le camp des noirs et le camp des blancs sont clairement exposés. Remarquons d’ailleurs qu’aucun enfant de couleur n’est scolarisé auprès des enfants Finch, un argument qui prend plus d’impact et de sens dans ces circonstances. Tandis que le soutien de l’accusé manque de visibilité, les opposants occupent une grande partie de la salle, venant renforcer une haine aveugle qui n’entendent ni la raison, ni la justice.
C’est à ce moment où l’on imbibe le regard d’un enfant dans la réalité et la cruauté que la vie amène et emporte avec elle. Le contraste avec la vision d’adultes expérimentés les laisse autant perplexe que nous autres observateurs objectifs, bien que certains se simplifient la tâche en restant conservateurs sur des valeurs déshumanisantes. La réponse que l’on cherche à atteindre durant l’intrigue n’est pas remis en cause avant le dénouement, exposant les faiblesses des principes d’Atticus. On y démontre que le silence parfois plus légitime que de s’engager dans une cause que l’on estime juste. On franchit les limites de la raison et des droits civiques, afin de mieux appréhender le parcours initiatique que le procès a déclenché.
Ainsi, « Du Silence et des Ombres » raconte avant tout le plaidoyer contre la ségrégation raciale et l’injustice qu’elle fréquente encore de nos jours, même si elle proposait davantage de sens à l’époque. Ainsi, par sa technicité, sa sobriété, sa maîtrise et sa dextérité dans le discours, il convainc le premier auditoire que sont les spectateurs. La métaphore de l’oiseau moqueur, espèce nuisible pour les récoltes et inoffensive pour autrui, gagne en impact aussi bien sur la scène du procès que dans le quartier où vivent les Finch. Atticus partage deux mondes et se heurte aux limites de ce qui l’humanise. On titille suffisamment les propos dans une mise en scène qui se veut bavarde, mais qui aura le mérite de satisfaire l’œil et la conscience dans une ambiguïté pédagogique et universelle.