Robert Duvall est un acteur particulier au sein du système hollywoodien. Depuis longtemps considéré par l’ensemble de la profession comme l’un des plus grands acteurs de sa génération, il se fera surtout remarquer tout au long de sa carrière par ses prestations mémorables dans des seconds rôles. La plus célèbre d’entre elles demeure celle du Lieutenant Colonel Bill Kilgore dans « Apocalypse Now » (Francis Ford Coppola en 1979) qui faisant raser une plage au napalm au son de la Walkyrie de Richard Wagner, pour que ses soldats puissent faire du surf, prononce cette phrase aussi tonitruante qu’incongrue : « Je n’aime rien tant que l’odeur du napalm au petit matin ! ». Mais personne ne l’a oublié non plus dans « M.A.S.H » (Robert Altman en 1970) comme dans « Le Parrain 2 » (Francis Ford Coppola en 1974), « Jours de tonnerre » (Tony Scott en 1990) ou encore dans « Chute libre » (Joel Schumacher en 1993). Des premiers rôles lui ont pourtant été offerts dans d’excellents films où lui-même brillait mais jamais l’un d’eux n’a rencontré un immense succès qui lui aurait permis de rejoindre au firmament d’Hollywood ses camarades de promotion que sont Clint Eastwood, Jack Nicholson, Dustin Hoffman, Gene Hackman, Al Pacino ou Robert De Niro. L’exemple de « Tender Mercies » de Bruce Beresford qui lui a valu son unique Oscar pour un premier rôle est l’illustration parfaite de ce propos liminaire. Excellent film, remarqué par la critique qui n’a pas eu le succès qu’il méritait et qui n’a pas franchi les frontières en raison de son sujet certes universel mais se déroulant dans le contexte très particulier de la musique country américaine. Robert Duvall connait le scénariste et dramaturge Horton Foote depuis 1958, lequel l’a fait travailler pour une courte prestation dans « Du silence et des ombres » de Robert Mulligan (1962). Alors que Robert Duvall est désormais solidement installé dans sa carrière, Horton Foote lui propose le scénario de « Tender Mercies » qui s’intéresse à la reconversion d’une vedette déchue de la musique country. Le projet est présenté à de nombreux réalisateurs américains qui refusent cette histoire sans grand ressort dramatique qui s’apparente davantage à une étude de caractères. Les deux hommes se rabattent sur un réalisateur australien dont Foote a apprécié le travail sur « Héros ou Salopards » (1980). Bien que se déroulant dans les plaines arides du Texas, le film est intimiste, obligeant Robert Duvall et Bruce Beresford a effectué un travail préparatoire conséquent pour s’imprégner de la culture et des paysages locaux ainsi que du monde de la country. Le résultat au prix de frictions assez sévères entre les deux hommes sur le plateau sera à la hauteur de leur investissement. A partir de l’arrêt de Marc Sledge (Robert Duvall), ex-gloire de la country en perdition, dans un motel perdu du Texas et de son embauche comme homme à tout faire par sa jeune propriétaire (Tess Harper), elle-même veuve avec un enfant à élever, se reconstruit la vie d’un homme entre deux âges. Sa vie peut prendre une autre voie s’il saisit l’opportunité d’un amour sans condition ni remise en question de son passé que lui offre une jeune femme dont les valeurs s’appuient sur de fortes convictions religieuses. Au fil de la réinsertion progressive de Marc Sledge dans le milieu musical local et des chansons qu’il fredonne à sa jeune épouse, le scénario expose de manière très réaliste et sans emphase les choix qui devront être faits pour que cette nouvelle chance puisse devenir solidement concrète. Le propos parfaitement ancré dans la réalité quotidienne exige beaucoup de ses acteurs pour devenir palpable malgré l’absence de rebondissements intenses. Robert Duvall est tout simplement époustouflant de vérité, effectuant lui-même les parties chantées. A ses côtés Tess Harper dont c’est la première apparition à l’écran est incontestablement la révélation du film, trouvant le ton juste pour incarner Rosa Lee, cette femme au regard clair dont l’infinie tendresse ne l’emmène jamais jusqu’à la soumission. Enfin, le jeune Allan Hubbard qui incarne Dennis, le fils de Rosa est en parfaite symbiose avec les deux acteurs principaux. « Tender Mercies » apporte la preuve qu’un film peut réussir à toucher en montrant la vie en train de se faire tout simplement à travers les problématiques existentielles qui se posent à chacun d’entre nous au fil du temps.