« Le Groupe » est un film méconnu de Sidney Lumet qui figure pourtant parmi ses belles réussites. En 1966 le réalisateur encore relativement jeune (42 ans) n’a pas encore atteint sa pleine maturité cinématographique mais est déjà en marche vers son accomplissement après un début de carrière où il se consacra essentiellement à l’adaptation de pièces de théâtre conférant à son expression artistique une bonne dose d’académisme. Après « La colline des hommes perdus », le réalisateur qui a toujours affirmé vouloir sans arrêt remettre le métier sur l’ouvrage pour progresser en parvenant à se trouver lui-même réellement, aborde une nouvelle phase de sa carrière qui l’amènera jusqu’à sa fameuse décennie magique allant de 1972 à 1982.
En 1966, il adapte « The Group » roman de Mary McCarthy paru en 1963 énorme succès de librairie, portrait doux-amer de la société américaine des années 1934 à 1940 à travers les destins croisés de huit jeunes femmes à la sortie de leurs études au sein de la prestigieuse Eastern University (Pennsylvanie). Un groupe dont l’unité et les ambitions vont se heurter aux réalités de la vie new yorkaise. C’est Sidney Buchman scénariste chevronné (« Mr Smith au Sénat » de Frank Capra en 1939) qui se charge de la transposition à l’écran du roman. Se frottant au genre encore assez peu usité du film choral avant que Robert Altman s’en fasse le spécialiste, Sidney Lumet qui comme toujours s’est parfaitement imprégné du scénario comme du matériau de base décide de convoquer un casting de jeunes actrices soit débutantes ou encore assez peu connues afin qu’aucune d’elle ne phagocyte l’écran.
« Le Groupe » commence dans l’alégresse de la remise des prix où l’une d’entre elles dans son discours tout à la fois pompeux et naïf déclame haut et fort la volonté de la Promotion 1933 de faire que les femmes impriment enfin de leur sceau l’évolution des sciences, des arts ou de la politique. La comptine qui rythme cette entame montre un groupe très soudé dont volontairement Lumet fait que durant les premières vingt minutes le spectateur ne sache pas vraiment distinguer ses composantes l’une de l’autre. La confusion savamment entretenue par le flot d’informations déversées sur l’écran se dissipe peu à peu pour nous rappeler que derrière le groupe les individualités finissent toujours par émerger.
C’est exactement ce qui se passe, l’intrigue se concentrant davantage sur cinq d’entre elles qui affrontant des relations amoureuses compliquées, la prédominance masculine dans le monde de l’entreprise au sens large mais aussi leur héritage familial ainsi que leur propre défaillance vont devoir quelque peu déchanter tout en se forgeant une carapace à travers ce que l’on appelle tout simplement l’expérience de la vie qui apprend à savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire. Durant les 2h30 que dure le film, rien n’est vraiment oublié des grandes étapes et épreuves de la vie qui oblige les esprits normalement constitués à un peu d’humilité et de recul.
Profondément féministe mais sans manichéisme, « Le Groupe » montre résolument que les femmes n'ont pas besoin des hommes pour être calculatrices, mesquines ou déloyales en offrant un formidable florilège des petits travers de l’espèce humaine y compris de la seconde moitié qui la compose dont il demeure malgré tout patent que l’homme ne lui permet pas de s’épanouir pleinement . Les scènes de face à face entre les huit personnages féminins ou avec leurs partenaires masculins sont souvent les plus émouvantes, celles de groupe servant le plus souvent de transition temporelle.
La direction d’acteurs de Lumet fait encore une fois merveille permettant à toutes ces jeunes actrices de donner le meilleur d’elles-mêmes de Candice Bergen à Joanne Hackett en passant par Elizabeth Hartman, Shirley Knight, Joanna Pettet , Mary-Robin Redd, Kathleen Widdoes, Carry Nie ou Jessica Walter. Il ne faut toutefois pas oublier Hal Holbrook grand second rôle du cinéma américain des années 1960 à 2010, Larry Hagman futur Jr. de la série culte « Dallas », Richard Mulligna inoubliable Général George Armstrong Custer dans « Little Big Man » d’Arthur Penn ou encore James Broderick le père de Matthew Broderick sans oublier dans le petit rôle sympathique de voisin de palier polonais tenu par Baruch Lumet le propre père de Sidney.
Un Groupe tout à la fois conquérant, drôle, pétillant, foisonnant, émouvant mais aussi profondément optimiste. Le même groupe observé après les neuf décennies qui se sont écoulées ne verrait sans doute pas les choses de la même manière. La fin du film qui laisse entendre à nouveau une partie du discours initial rythmé par la même comptine ne laisse aucun doute sur le chemin qu’il reste encore à accomplir aux femmes pour s’affranchir de leur enchaînement aux valeurs masculines. L’égalité sans aucun doute mais pour tomber dans les mêmes travers ? Là est sans doute une question qui n’est pas souvent posée.