Pas moins de 5 Oscars sont venus récompenser ce film : meilleur film, meilleur acteur pour Rod Steiger, meilleur montage, meilleur scénario adapté et meilleur mixage de son, tout cela à l’occasion d’un anniversaire, celui des 40 ans de la plus prestigieuse des cérémonies. Pour continuer sur le chapitre des anecdotes, c’est la première fois qu’un film américain interdit aux moins de 13 ans obtient l’Oscar du meilleur film. Ah ben zut, je viens de m’apercevoir que c’était précisé dans les anecdotes de tournage. Moi qui avais pris l’info ailleurs et qui pensait amener un scoop… enfin quand je dis « scoop », c’est une façon de parler, bien entendu. Alors comme ça, "Dans la chaleur de la nuit" a été interdit aux moins de 13 ans ? Cinquante ans plus tard, il y a de quoi s’interroger sur cette restriction qui n’a plus lieu d’être. D’ailleurs, il semble qu’elle n’est plus. Bien des choses ont changé en un demi-siècle... A commencer par la discrimination des noirs, dont la lutte comptait Sidney Poitier parmi ses fers de lance. Alors il parait logique que ce dernier ait pris le rôle principal, dans lequel il engage toute sa détermination à faire instaurer le respect par un claquant « Appelez-moi Monsieur Tibbs ! », réplique par ailleurs classée dans le top 100 des meilleures répliques du cinéma américain. Cependant la discrimination raciale n’a pas été prise de front, puisque nous avons d’abord affaire à une intrigue policière, en intégrant le concept du « se trouver au mauvais endroit au mauvais moment » afin de se donner l’occasion d’exploiter la question de la discrimination. C’est là que réside tout le génie du scénario et de la mise en scène. S’appuyant sur le roman éponyme de John Ball et sur sa bonne transposition scénaristique (merci Stirling Silliphant), le réalisateur Norman Jewison a su planter le décor : une petite bourgade, un cadavre, un shérif buté et le passage d’un homme noir. Direction est prise sur le Mississippi, un choix (soit du romancier, du scénariste, voire du réalisateur) sans doute pas anodin puisque cet état est un de ceux où la discrimination était la plus forte. La nuit a enveloppé la ville de Sparta de sa pénombre et de sa lourde chaleur d’été, mais le travail de la police locale continue. Alors qu’il fait sa ronde en voiture, l’adjoint au shérif découvre le cadavre d’un industriel qui était sur le point de monter une usine. Un peu plus loin, à la gare, il tombe sur un voyageur tranquillement assis à attendre patiemment sa correspondance. Sa couleur de peau et l’argent qu’il a sur lui suffisent à le désigner coupable. Dès lors tous les éléments sont réunis pour faire de ce film un polar noir dans la plus pure tradition du genre, encore en vogue en cette année 1967. L’ambiance y est lourde et malsaine. Impossible pour le spectateur de ne pas être choqué par les propos des flics blancs envers ce personnage, et en même temps, impossible de ressentir une empathie quelconque envers cet homme noir à la stature fière et peu amène. Bon en même temps, en un temps où la discrimination est encore un phénomène courant, et en considérant le lourd tribut qu’a dû subir le peuple noir, il y a de quoi être endurci. Endurci, le visage impassible, l’homme noir ne la ramène pas comme si le lourd héritage des exactions commises sur plusieurs générations de son peuple. En attendant, il préfère que les choses se révèlent d’elles-mêmes. Mis face à face contre leur gré, le shérif et Monsieur Tibbs (ah ben il tient à ce qu’on l’appelle ainsi, alors moi j’ai choisi de ne pas aller à l’encontre de ce qu’il veut) vont être pris dans un affrontement qui doucement va glisser vers une certaine complicité que ni l’un ni l’autre ne reconnaîtra. C’est donc d’un jeu tout en finesse que les deux acteurs principaux vont nous gratifier. Et dans ce jeu de l’évolution de la psychologie, ils sont remarquables, notamment Rod Steiger, lequel n’a pas volé son Oscar. En effet, il a beau se cacher derrière son physique de grosse brute qui se targue d’avoir l’autorité (matérialisée aussi par le viril masticage permanent de chewing-gums), il n’en demeure pas moins quelqu’un d’influençable et d’impressionnable. Face à lui, un homme sûr de sa science et qui entend l’imposer dans l’enquête à laquelle il se retrouve mêlé. En somme, bien que restant tous les deux dans le masque, Rod Steiger et Sidney Poitier sont superbes d’intensité. La finesse et l’intensité dans leur jeu ont aussi un autre avantage : celui de masquer la lenteur du récit. Cela dit, cette lenteur risque d’en rebuter plus d’un, mais comment rester insensible à cette ambiance malsaine balancée par les notes de Quincy Jones dont les premières sont chantées par la voix reconnaissable entre mille de Ray Charles sur la chanson du même nom que le film ? Non, vraiment, "Dans la chaleur de la nuit" ("In the heat of the night" en V.O.) est un film remarquable en tous points : le rythme, bien que lent, est parfaitement maîtrisé, la lumière également et la photographie avec. En plus du formidable jeu d’acteur, le spectateur appréciera tout cela à condition qu’il sache regarder ce film avec un œil d’époque. Cela dit, si vous êtes fans des polars noirs, foncez, vous ne serez pas déçus. Sachez en attendant que le succès fut tel que deux suites ont été tournées (1970 et 1971), ainsi qu’une série mais bien plus tard. Ce n'est pas un hasard...