Des cercles, des tours et des rondes, le cinéma de Max Ophüls ne répond qu’à l’affirmation de ses formes, que ce soit afin d’exprimer la mélancolie ou l’euphorie. Ophüls laisse circuler sa caméra pour mieux discerner l’espace et pour mieux exprimer, par le mouvement, l’irréductibilité du temps. De «Liebelei» (Allemagne, 1933), il me reste à l’esprit un plan où une salle de fête, vide après qu'ait eu lieu un drame, est traversée par la caméra en un travelling aussi languide qu’il exprime le désarroi de l’instant. Ce détour opérée par le plan qui capte, par l’absence qui y règne, un sentiment de désuétude exprime dans le même temps la beauté du vide. Le cinéma d’Ophüls est, comme toutes les grandes œuvres, un art de la mélancolie. «La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste» écrivait Victor Hugo. «Liebelei» littéralement amourette, conte le récit d’une jeune femme, Christine (Magda Schneider, la mère de Romy Sch.) qui tombe amoureuse d'un officier de l’armée. Cette idylle sera rompu par la mort du jeune homme dans un duel. Désespérée, Christine se jettera par la fenêtre. Le titre du film qualifie l'histoire d'amourette de manière réductrice. Cette écart entre l'amourette et la passion que vivent les personnages installent un déphasage et privilégie une certaine distance. De cette distance, il en résulte un basculement, presque une valse entre l'empathie et la critique. Ophüls pose sur cette génération de jeunes allemands perdus, nostalgiques d'un romantisme révolu, un regard aussi interrogateur qu'il est parcouru de compassion. Le blanc nacré qui enveloppe en grande majorité les lieux du film donne aux séquences une allure acétique. Pourtant reconnu comme cinéaste baroque (déjà par l'un de ses plus grands admirateurs : Kubrick), pensons pour ça aux mouvements qui composent «Letter from an unknown woman», l'effacement qui régit une grande partie le style d'Ophüls en fait un cinéaste classique.