Eh bien, le moins qu’on puisse dire est que ce film n’a pas beaucoup d’émules pour se risquer à émettre un avis : le moins qu’on puisse dire, c’est que ces avis sont rares. Pas de quoi m’intimider pour que j’ose à mon tour. Il est clair que nous n’avons pas là le film du siècle, ni même de la décennie. Peut-être même pas de l’année. Mais ce que j’ai pu lire sur différents sites m’a paru un peu sévère. Il faut prendre en compte que le film a été tourné en 1955 et qu’à cette époque-là, les mœurs étaient bien moins exacerbés qu’aujourd’hui. En tout cas ils étaient différents… et s’exprimaient différemment. Les tabous étaient plus nombreux et bien plus opaques, tant et si bien que les sentiments, aussi nobles soient-ils, étaient voilés de pudeur. Au vu du millésime, reconnaissons tout de même que le sujet était osé. Personnellement, j’ai été plus marqué par la proposition indécente qu’autre chose. « Quelle idée saugrenue » dira plus tard Lord Clifford à propos de tout autre chose, mais que j’ai choisi d’utiliser là tant ça me parait de circonstance. Il y en a qui parlent du chien tué comme LA scène choc, mais je considère que ça colle bien avec l’état d’esprit du garde-chasse à ce moment, du fait qu’il était en prise avec une douloureuse détresse... qui empêche de réfléchir correctement. Je vous rassure, je n’ai pas dit non plus que ça me laissait indifférent, bien au contraire. Cela dit, je ne parlerai pas de la qualité d’adaptation du roman éponyme de D. H. Lawrence, décrit par certains comme sulfureux. Cela pour la bonne et simple raison que je ne l’ai pas lu. Il est vrai qu’ici l’érotisme a été banni. A croire qu’en 1955, le monde du cinéma n’était pas encore prêt à dévoiler l’amour dans sa plus stricte intimité à un large public. Peut-être ont-ils bien fait à cette époque pour éviter la censure, peut-être pas. Qui sait vraiment ? On ne le saura jamais. Quoi qu’il en soit, Danielle Darrieux prouve une nouvelle fois que c’était une grande actrice. Elle apparaît plus belle que jamais dans ses tenues soignées et toujours impeccables. C’est simple, je n’avais d’yeux que pour elle malgré son apparente raideur, et je n’étais de toute évidence pas le seul. Ce qui nous amène à la belle remise en place tout en douceur de son assaillant épris d’elle. Mais surtout elle met au service de son personnage toute sa sensibilité. Mais à supprimer toute notion d’érotisme, même édulcoré, on aurait pu rajouter un soupçon de sensualité en plus de la réelle tendresse. Cela aurait pu amener plus de force dans le récit pour témoigner au mieux des tourments de l’amour. Encore heureux que la lumière a été savamment utilisée pour rendre plus romantique les après-ébats amoureux, lesquels se passent en des endroits qu’on aurait pu croire inimaginables pour une dame de cette condition. Notez les piles de paniers en osier (une belle image vintage au passage), les champs agricoles… adieu les convenances, pourvu que les amoureux soient bien et je valide à 100 % cette liberté sexuelle décomplexée, cet amour libéré de toutes contraintes, cet amour dans lequel ce qui faisait honte parait désormais naturel. Je trouve dommage cependant que cette romance arrive aussi facilement, aussi précipitée, et ce en dépit des quelques petites longueurs, ce qui paraît paradoxal. Encore qu’elle répond à une pulsion partagée, oui c’est vrai. L’autre paradoxe est quand on sait la Lady nue sous sa robe, ce qui n’a pas manqué de me faire sursauter d’envie devant ce seul et unique élan d’érotisme du film. Alors oui, je peux comprendre qu’on ne se sente pas vraiment pris aux tripes, car de nos jours on ne conçoit plus vraiment l’amour au cinéma avec autant de filtres. Malgré tout je m’interroge sur cette hypothétique volonté de ne pas choquer le public. Car le long métrage commence sur une chasse à courre. Des images rares, mais ô combien cruelles. Ensuite je me demande aussi s’il n’y avait pas un petit engagement politique, à voir la confrontation entre le patronat et les ouvriers face aux risques du métier. Réel ou pas, on peut le voir comme le début d’une description psychologique égocentrique, celle de Lord Clifford qui, décidément, ne recule devant rien pour gagner toujours plus d’argent, quitte à laminer son domaine forestier, ce qui contraste fortement avec son flegme britannique. Dans sa volonté de montrer au monde qu’on peut réussir durablement même réduit physiquement parlant, il ne devient pas étonnant de le voir faire preuve d’une ouverture d’esprit contestable en proposant l’impensable de façon aussi brutale qu’inattendue. Tellement persuadé de son infaillible raisonnement, il ne pense pas un seul instant au jeu à double tranchant (pour ne pas dire dangereux) auquel il se livre. Pourtant il lui a été prêté une certaine sensibilité. De son propre aveu, le personnage avoue avoir froid aux jambes quand sa tendre et chère épouse n’est pas là. C’est poétique, romantique, tout ce qu’on veut, mais l’attachement (par amour ou nécessité ?) est joliment dit. Evidemment, une telle affaire ne peut rester sans bruit et c’est là aussi que le film s’avère plus riche qu’il n’y paraît : le qu’en dira-t-on, en montrant les rumeurs qui ont animé un village presque entièrement mobilisé dans la curiosité. Pensez donc… une lady acoquinée avec… avec… avec qui vous savez. Cerise sur le gâteau, ce film nous rappelle aussi des règles de savoir vivre. Il était un temps où les convenances étaient rarement de trop. Un temps où les hommes s’excusaient d’être torse nu. Admettons-le, aujourd’hui c’est la débandade sous prétexte qu’il fait chaud. Sans compter qu’on croit pouvoir tout se permettre. Pour terminer, et en guise d’annexe, je vais rajouter ceci : "L’amant de Chatterley" peut servir d’outil de réflexion sur notre mode de vie. Qu’est-ce que l’amour permet ? Que ne permet-il pas ? que peut-on faire par amour ? Jusqu’où peut-on aller ? Au fond, si on y réfléchit bien, l’essentiel reste l’essentiel…