À la manière des super-héros contemporains qui aiment se rassembler et unir leur force – ce qui occasionne des imbroglios narratifs et contraint les scénaristes à réécrire sans cesse la mythologie desdits personnages –, les grands monstres de la Warner ont eux aussi partagé des aventures communes, comme c’est le cas dans La Maison de Dracula, réalisé en 1945 par Erle C. Kenton. C’est ici l’unité domestique de la maison qui sert de cadre à la renaissance des personnages iconiques, un petit manoir que la réalisation peine néanmoins à incarner : un seul plan délimite la propriété depuis l’extérieur, si bien que le spectateur ne réussit que vaguement à se figurer la bâtisse dont il est question. Dans la tradition des films horrifiques de l’époque, l’espace est composé d’une collection de salles stéréotypées – le laboratoire et le salon pour l’espace intime, une cellule de prison et une chambre d’hôpital pour l’espace public – que raccorde une course-poursuite finale plutôt haletante. Car il faut souligner la qualité de la mise en scène, aussi propre que pragmatique, qui sait placer sa caméra là où l’exige l’intrigue. De belles surimpressions d’images confèrent au long-métrage une esthétique particulière, notamment cette scène de rêverie psychédélique dans laquelle s’interposent les personnages à tour de rôle. Le travail de l’ombre pose d’emblée une symbolique du double : qu’il s’agisse de Dracula, de Talbot ou d’Edelmann, la transformation hante les pas de protagonistes pouvant être à tout moment surpris par leur nature changeante. Les surimpressions viennent superposer deux couches de réalités, comme les deux versants opposés d’une même médaille identitaire. Le vampirisme lui-même perd son aspect légendaire et se voit traité telle une maladie infectieuse qu’il faut combattre au moyen de transfusions sanguines. Il y a, dans le sang de Dracula, un « parasite » qui l’empêche de mourir. L’ombre des personnages est donc à la fois une métaphore de leur dualité intérieure – un monstre aimerait goûter à la normalité, un docteur aux vertus de l’immortalité – est une fatalité contre laquelle les actions humaines s’avèrent bien impuissantes. Soulignons également la beauté de la composition musicale qui offre à chaque monstre un petit thème marquant tout en soufflant au film une atmosphère gothique des plus réussies. On regrettera, à terme, que le bestiaire horrifique formé par les grands monstres du genre ne donne lieu à davantage d’effets dramatiques : l’agitation finale se stoppe brutalement et laisse le spectateur sur sa faim. Le monstre de Frankenstein, par exemple, se réveille quelques minutes à peine avant le générique de fin. Dommage. D’autant que la prestation de John Carradine en Dracula s’avère peu marquante : nous sommes loin du charisme d’un Bela Lugosi ou d’un Christopher Lee. S’il n’est donc pas indispensable, La Maison de Dracula mérite néanmoins le coup d’œil pour la qualité de sa mise en scène et le plaisir que l’on éprouve devant cette réunion des monstres sacrés du cinéma d’épouvante.