Rares sont ceux qui ont vu la version originale de 9 h (!!!). Stroheim rentré en conflit avec le patron de la MGM, Irving Thalberg, avait finalement accepté de raccourcir son film à 4h00 avant que le studio ne finisse par confier le métrage... à un monteur au rabais qui le réduisit encore à 140mns. En 1999, un restaurateur inspiré mit en circulation une nouvelle version de 4 heures reconstruite à l'aide de photos originales et du script de tournage. C'est cette version que j'ai eu le privilège de voir aujourd'hui et qui est la seule, à mon sens, qui permet de mesurer la radicalité et la noirceur de ce film unique, tellement en avance sur son temps qu'il ne pouvait que déplaire fortement à ses commanditaires. Von Stroheim n'y va en effet pas avec le dos de la cuillère... Son film est sans concessions, à la fois naturaliste et métaphorique. L'or et l'argent qui rendent fou et déforment les visages, qui pourissent et pervertissent jusqu'à l'aliénation, la cupidité et la folie qu'elle engendre, la vénalité comme un cancer. Et le pire dans tout cela, c'est que Von Stroheim ne semble en fin de compte vouloir décrire que des êtres ordinaires, ordinaires jusqu'au desespoir. Anatomie d'une déchéance de personnages pathétiques, "Les Rapaces" est un film incroyablement brillant, magnifié par une dernière partie époustouflante se déroulant au beau milieu de la Vallée de la Mort où, sous un soleil accablant et au cours d'un face à face tragique entre les deux personnages rivaux du film, explosera la vanité de leur médiocre existence. Ils crèveront au milieu du rien comme ils avaient vécu... Comme des chiens.