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tomPSGcinema
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2,5
Publiée le 29 avril 2019
On est clairement pas devant le long-métrage le plus connu dans la filmographie de Josef von Sternberg. Et si l'histoire n'est pas forcément toujours très passionnante à suivre, ce film muet mérite tout de même d'être découvert ne serait ce que pour sa mise en scène qui est plutôt agréable à suivre et surtout en ce qui concerne l'excellente prestation d'Emil Jannings qui impose tout son charisme dans le rôle du général Dolgorucki.
Après l’énorme succès de « Underwold » (« Les nuits de Chicago » en français), Josef Von Sternberg obtient carte blanche de la Paramount pour finaliser les œuvres muettes qui lui tiennent à cœur avant de passer comme les autres au cinéma parlant dont l’arrivée semble désormais inéluctable et qui mettra en même temps fin à la magie du muet. C’est ainsi que cinq films seront réalisés par Sternberg entre 1928 et 1929 dont l’inoubliable « The dock of New York ». « Crépuscule de gloire » sera ainsi la première collaboration entre Sternberg et Emil Jannings avant « L’Ange Bleu » qui verra l’avènement de Marlène Dietrich. Emil Jannings, énorme star du cinéma allemand venant tout juste de triompher dans « Faust » de Wilhem Friedrich Murnau en 1926 a signé dans la foulée un contrat pour la Paramount. Les deux hommes se connaissant depuis 1925 et s’appréciant, il semblait normal qu’ils travaillent de nouveau ensemble. Ce sera donc « Crépuscule de gloire », drame de la déchéance d’un homme prenant ses racines dans le répertoire favori du grand acteur qui en avait tiré l’une de ses meilleures interprétations sous la direction de Murnau dans « Le dernier des hommes » (1924). L’histoire de cet ancien général, cousin du tsar déchu, exilé à Hollywood après l’avènement de la révolution bolchevique, n’est pas sans avoir un fond de réalité. En effet, le réalisateur Ernst Lubitsch avait dans ses connaissances new-yorkaises l’ancien général Theodore A. Lodigensky qu’il avait fini par se retrouver postulant à la figuration dans les studios d’Hollywood. Sternberg entrevoit immédiatement le parti qu’il va pouvoir tirer de cette histoire et la manière dont il va diriger Emil Jannings pour l’amener finalement à être le premier acteur récompensé d’un Oscar. Commençant par brosser un portrait peu flatteur de la manière dont sont traités les figurants, similaire à celle des travailleurs à la chaîne tels qu’ils seront décrits par Charlie Chaplin en 1936 dans « Les temps modernes », le réalisateur a quelques démêlés avec le studio qui apprécie très moyennement la description de leurs méthodes présentée sur l’écran. La sortie du film sera retardée avant qu’un riche actionnaire de la Paramount ne débloque la situation. Déjà présente ici la farouche volonté d’indépendance de Sternberg qui ne cédera jamais rien sur ses convictions, allant jusqu'à creuser lui-même le trou où sera enterrée sa brillante carrière. Le général interprété par Jannings apparaît donc hagard dans le processus d’attribution mécanique des accessoires qui va transformer tous ces figurants en soldats du tsar. S’ensuit un long flash-back qui présente le général Sergius au temps de sa splendeur quand il organisait de fausses attaques lors des visites sur le terrain de son cousin le tsar. Explication par Sternberg de la déchéance d’un régime corrompu et consanguin qui trouvera son prolongement somptueux dans « L’Impératrice Rouge » (1934). Un potentat descendu de son piédestal, n’étant plus que l’ombre de lui-même et qui sera amené, via le réalisateur (William Powell) du film qui a un compte à régler avec lui, à revivre le malheur de sa vie une deuxième fois. Sternberg tout à son aise face à ses thèmes de prédilection que sont la soumission volontaire de l’homme à la sexualité d’une femme, l’exercice du pouvoir sous toutes ses formes ou encore la déchéance inéluctable de celui qui a perdu sa condition, trouve en Emil Jannings l’interprète idéal qui par-delà son jeu très expressif (trop selon certains ) était devenu l’incarnation même de la haute stature qui finit par se rabougrir sous le poids des humiliations. Un tropisme d’interprétation que l’acteur adulé aura l’occasion de mettre en pratique dans la vraie vie quand il sera banni de l’industrie cinématographique pour ses complaisances à l’égard du régime nazi qu’il n’avait pas eu le réflexe de fuir alors même qu’il n’avait jamais exprimé de similitudes de vues avec les théories folles de leur initiateur. À ses côtés, il faut signaler la prestation d'Emily Brent qui préfigure ce que sera la collaboration de Sternberg avec sa muse, Marlène Dietrich. Un grand film de plus à mettre au compte d’un réalisateur qui n’est pas toujours estimé à sa juste valeur et dont la période muette demeure trop méconnue.
Bien que quelques facilités émaillent cette intrigue improbable (pourtant inspirée partiellement d'une anecdote véridique), le récit nous entraine par son corollaire d'originalité, sa mise en scène réfléchie et son parallèle audacieux entre la Russie des tsars et le Hollywood des magnats. Retraçant la déchéance d'un général (bouleversant Emil Jannings) digne, épris de sa patrie mais enlisé dans un système aristocrate inégalitaire et absurde, la narration répugne à tout manichéisme, soulignant les ambiguïtés de révolutionnaires prônant une liberté fraternelle qui cache une révolte vindicative - dont les deux hérauts sauront saisir les limites. Une imbrication habile entre considérations politiques et humaines.