Julien Duvivier et Jean Gabin se sont exilés à Hollywood dès 1941, refusant de tourner pour les Allemands dans la France occupée. Si Duvivier y aura une production assez intense avec six films à son actif. Jean Gabin de son côté rencontrera plus de difficultés à s’adapter à l’ambiance des studios, ne gardant sans doute comme essentiel bon souvenir de la Mecque du cinéma que son idylle avec Marlène Dietrich. Les films américains ne trouvant plus de salles en France, la Fox se désintéresse un peu de Gabin. En 1942, Universal propose aux deux hommes qui se connaissent bien pour avoir déjà tourné quatre films ensemble, un film de propagande antinazie et de contribuer ainsi à l’effort de guerre.
L’ensemble de l’équipe sera exclusivement composé d’américains, des acteurs aux techniciens. Julien Duvivier ne sera pas pour autant décontenancé, parvenant très professionnellement à mener à son terme ce tournage en studios retraçant l’aventure de soldats de la Force Française Libre en Centrafrique. Jean Gabin se voit offrir par Duvivier qui rédige le scénario, un rôle sensiblement dans la lignée de ceux qui ont fait sa gloire en France. Celui d’un paria en quête d’une rédemption impossible qu’il touchera pourtant un moment du bout des doigts pour finir par la voir lui échapper tragiquement.
Le jour de son exécution, Clément (Jean Gabin) échappe à la guillotine à la suite d’un bombardement qui détruit la prison où celle-ci devait avoir lieu. Prenant dans sa fuite l’identité d’un soldat tué au combat, il s’embarque pour l’Afrique où initialement contre son gré il va être intégré à un bataillon de la Force Française Libre.
Sa duplicité va lui apporter successivement l’estime et le respect de ses compagnons d’armes puis la gloire et finalement la déchéance avec le retour à son statut de paria.
Un parcours cinématographique que Gabin connaît sur le bout des doigts et qu’il déroule ici sans problème malgré l’écueil de la langue que l’on aurait pu croire rédhibitoire pour ce « titi parisien » pur jus. L’exercice s’avère plutôt réussi notamment si on le compare à l’accent à couper au couteau (transformé en atout) d’un Maurice Chevalier devenu star à Hollywood dès le début des années 1930. Doublé en français par Robert Dalban alors qu’il prétexta être encore enrôlé dans les Forces Françaises Combattantes, Gabin ne reniera pas totalement ce film patriotique réalisé dans des conditions très particulières. Diffusé en France après la Libération « L’imposteur » attirera tout de même plus de 2 millions de spectateurs dans les salles. Beaucoup s’en contenteraient de nos jours.
Dans la longue liste des films de propagande antinazie du début des années 1940 qui a vu des réalisateurs aussi prestigieux qu’Alfred Hitchcock, Charlie Chaplin, Fritz Lang, John Ford, Frank Borzage, Henry Hathaway, Raoul Walsh ou Ernst Lubitsch s’y coller, le film de Julien Duvivier s’il n’est pas parmi les meilleurs n’est pas loin de là, l’un des plus indigestes. Il faut se souvenir que Basil Rathbone qui venait d’endosser le prestigieux costume de Sherlock Holmes dans deux films tournés en 1939 (« Le chien des Baskerville » de Sidney Landfield et « Les aventures de Sherlock Holmes » d’Alfred L. Werker) sera rappelé à l’activité dans le rôle pour des histoires originales sans rapport aucun avec l’œuvre de Conan Doyle, voyant le fameux détective pourchasser des espions nazis. Ceci pour se remémorer qu’à l’époque, l’industrie hollywoodienne était entièrement mobilisée pour faire oublier un soutien initial plus que timide de l’oncle Sam dans la lutte contre le nazisme. Entre-temps, Pearl Harbour était passé par là qui fera l’effet d’un électro-choc. On se doute que dans un tel contexte l’efficacité du message prima largement sur la qualité artistique. C’est donc à cette aune qu’il faut juger ce film parfaitement maîtrisé par Julien Duvivier malgré une intrigue un peu trop prévisible dans son déroulement