Les films sur Napoléon sont légion qui selon le cas et notamment le pays qui produit le film, retracent l’ensemble du parcours du grand homme, s’attardent sur ses conquêtes militaires (défaites ou victoires), sa vie amoureuse ou encore sur son exil à Sainte-Hélène sujet de controverses encore de nos jours. Le film de Sacha Guitry réalisé en 1955 né d’une co-production franco-italienne se voulant ambitieuse figure en très bonne place aux côtés de l’indétrônable « Napoléon » (1927) d’Abel Gance, « Adieu Bonaparte » (Youssef Chahine en 1985), « L’otage de l’Europe » (Jerzy Kawalerowicz en 1989), « Waterloo » (Sergueï Bondartchuck en 1970) ou « Désirée » (Henry Koster en 1954).
Sur trois heures, l’entreprise de Sacha Guitry balaie l’ensemble du parcours du jeune Napoleone Buonapuarte né le 15 août 1769 à Ajaccio et mort à 54 ans, le 5 mai 1821 sur l’île de Sainte-Hélène. Daniel Gélin campe le général Bonaparte et Raymond Pellegrin deviendra l’Empereur Napoléon lors d’une séance chez le coiffeur. Passation entre deux époques et deux parties du film dans le style iconoclaste de Guitry qui voit Daniel Gélin encore Bonaparte souhaiter bonne chance à son collègue qui va devoir aborder la période du déclin et de la chute de l’empire. Sacha Guitry qui avec sa voix traînante si particulière, tout à la fois ironique et un peu hautaine prend bien sûr en charge la narration de la geste napoléonienne, ayant pour l’occasion revêtu une nouvelle fois la perruque de Talleyrand qui apprenant la mort de l’Empereur disserte dans son salon, entouré de courtisans sur les moments forts de la vie du défunt mais aussi sur les soubresauts de sa vie amoureuse et sur les tractations se déroulant en coulisses. Un savoureux mélange où s’entremêlent vérité historique et petits détails romancés à la sauce Guitry. Une manière de mettre en relief par effets de contraste combien Napoléon malgré ses failles dominait son entourage par sa puissance d’analyse, sa capacité de travail, sa rapidité de décision et son sens de l’anticipation.
La mise en scène de facture classique aligne les images d’Épinal dans l’ordre chronologique pour nourrir le roman national. C’est l’occasion pour Guitry qui n’aime rien tant que diriger une troupe d’avoir à sa disposition tout le gratin du cinéma français venant faire une apparition plus ou moins courte. Dans le domaine le record sera haut la main, obtenu par Jean Gabin qui le temps d’à peine deux minutes mime un Maréchal Lannes mourant sur le champ de bataille (Essling), les deux jambes coupées et ayant encore juste un peu de souffle pour que l’Empereur vienne lui donner l’accolade finale. Petit rôle certes mais qui intègre tout de même la prestigieuse filmographie de Monsieur Gabin qui pour le coup n’aura pas eu trop d’efforts à faire.
Le plus important restant tout de même que Bonaparte puis Napoléon (sans doute la seule fois que le rôle est confié à deux comédiens le temps d’un même film) soient crédibles. On saluera la performance de Daniel Gélin tout-fait convaincant en jeune général tout d’abord un peu gauche et raide puis conquérant et dominateur. Mais c’est Raymond Pellegrin qui prend la lumière prenant place parmi les Napoléon les plus vraisemblables de l’écran aux côtés d’Albert Dieudonné, Marlon Brando, Rod Steiger, Pierre Mondy, Roland Blanche, Christian Clavier et Philippe Torreton. Enfin on ne peut ignorer que le film ne serait rien sans les saillies si drolatiques d’un Sacha Guitry dont on se dit en le voyant et en l’écoutant que décidément la dérision de ce type de personnalité nous manque cruellement.