Marcel (André Wilms) est un écrivain français philosophe dont la pièce de théâtre en vingt-et-un tableaux est refusée partout et qui vient d'être expulsé de son appartement. Le locataire qui lui succède est Schaunard (Kari Väänänen), un musicien irlandais, qui interprète sur son piano des compositions sinistres. Les deux hommes se lient d'amitié avec un troisième artiste, Rodolfo (Matti Pellonpää), un peintre albanais sans titre de séjour, qui vit sous la menace d'un arrêté d'expulsion. Les trois hommes et leurs amoureuses, Mimi et Musette, tirent le diable par la queue sans jamais perdre leur proverbial optimisme.
La rétrospective Kaurismäki de Arte s'est terminée au bout de six mois le 30 avril. Elle fut l'occasion de voir ou de revoir quelques uns des films du maître finlandais : "Ariel" (1988), "La Fille aux allumettes" (1990), "Au loin s'en vont les nuages" (1996), "L'Homme sans passé" (2002)... In extremis j'en ai vu le cinquième opus, adapté du feuilleton de Henry Murger publié au milieu du dix-neuvième siècle et qui inspira cinquante ans plus tard Puccini dans l'un des opéras les plus fameux au monde.
Après avoir vu la "trilogie du prolétariat" (dont "Ariel" et "La Fille aux allumettes" constituaient les deux derniers volets), on comprend immédiatement ce qui avait intéressé Kaurismäki dans ces "Scènes de la vie de bohème" : la description de la vie quotidienne de ces artistes sans le sou qu'unit une chaleureuse fraternité. Comme dans "Ariel", comme dans "La Fille aux allumettes", Kaurismäki filme dans un noir et blanc intemporel, qui rappelle les années quarante et le cinéma de Marcel Carné ou de Jean Grémillon, des gens de peu. Aucun misérabilisme, aucun sentimentalisme dans son cinéma quasi muet rempli d'un humour pince-sans-rire volontiers absurde ; mais au contraire une immense humanité qui constitue peut-être le fil rouge d'une oeuvre qui s'est déployée durant près de quarante années et qui se continue encore.
Pour autant, j'aurais tendance à placer cette "Vie de bohème" un chouïa en dessous de ses autres films et notamment d'"Ariel" ou de "La Fille aux allumettes" que j'ai tellement aimés. La raison en est en partie sa durée : "La Vie de bohème" dure cent minutes là où les deux autres, plus ramassés, en comptaient trente de moins. Une autre en est la difficile émigration d'un cinéaste finlandais qui, pour la première fois, filme en France (avant d'y revenir en 2011 pour "Le Havre" où il retrouvera André Wilms, Jean-Pierre Léaud et Evelyne Didi) avec un mélange assez improbable d'acteurs français et finlandais, ces derniers récitant leur texte en phonétique sans manifestement en comprendre un mot.