Les héroines de Satoshi Kon nous invitent toujours à dépasser les frontières du réel : celle de Paprika explore les rêves, celle de Perfect Blue passe du chant au cinéma. Celle de Millenium Actres, comme le titre le fait deviner, est une actrice, qui revient sur sa carrière, et à travers elle, c'est le cinéma en général que va explorer Kon. Le cinéma comme médium pour sublimer, pour cristalliser la réalité : ici, la vie intime de l'héroine et les films dans lesquels elle joue sont sans cesse reliés, et l'on ne sait jamais où s'arrête la frontière entre les deux. Le cinéaste s'amuse à jouer avec ces différents niveaux de réalité, sans toutefois nous perdre en route. Comment? Via un procédé très astucieux qui fait interevenir les deux journalistes interviewant l'actrice à l'intérieur même des souvenirs de celle-ci. Des journalistes un peu perdus, tout comme le spectateur, et qui finissent par s'intégrer de plus en plus dans ces souvenirs vivants.
La mémoire est un autre élément essentiel de ce récit. Les souvenirs sont vus de manières active, vivante, renforcé par l'ombre de la mort qui plâne sur l'actrice. La mémoire ici est subjective, une mémoire qui embellit peut être ce qu'a été le passé, qui fonctionne par ellipses, qui sélectionne certains événements et en laisse d'autres de côté. Le souvenir du passé permet, en quelque sorte, d'aborder l'avenir, et la mort. Je trouve que Millenium Actress propose une expérience tout a fait fascinante concernant la représentation cinématographique de la mémoire.
On peut aussi parler de l'amour, qui joue un rôle fondamental tout en étant, paradoxalement, absent de la quasi totalité du film. L'amour raté, l'amour jamais retrouvé, mais au final, c'est aussi l'amour comme quête d'absolu. On peut voir, au-delã de la recherche de l'amour, la recherche d'un absolu, une quête qui donne la force d'avancer, qui reste plus forte lorsqu'elle n'est pas achevée. L'héroine le dit elle-même : "Car après tout, c’est courir après lui que j’aimais". La course importe plus que lq ligne d'arrivée, semble nous dire Kon.
Je mén voudrais de ne pas parler également de la qualité de l'animation, qui explose de créativité et fait succéder les images flamboyantes à un rythme fou. Et ce dynamisme est au service du récit, puisqu'il évoque le cinéma lui-même. Millenium Actress, c'est un peu comme si un siècle de cinéma japonais était ressuscité devant nous : du film de samourais au film de science-fiction en passant par le film de monstre! L'imagerie n'a peut être pas encore la virtuosité incroyable de Paprika, mais cela reste franchement impressionnant.
Bref, Satoshi Kon livre une nouvelle oeuvre passionnante où, après les fictions d'une chanteuse-actrice, et avant les rêves et l'avatar d'une scientifique, ce sont les souvenirs d'une actrice qui permettent de ré-enchanter le réel.