Tourné à une époque d’où nous parviennent les rumeurs de l’oppression exercée par les producteurs en personne – et pas du haut de leur société comme aujourd’hui –, Le Train est de ces œuvres tournées dans la douleur et le danger bien réel de l’hyperréalisme, tel un Fitzcarraldo sur rails.
France, 1944 : Le Train sert aux Allemands à voler le patrimoine français, ses peintures les plus célèbres. Frankenheimer, régisseur tenu à un budget qu’il n’aura de cesse de dévisser pour faire – pour une fois – ce qu’il voulait, crée en France une Bête humaine et anglophone avec force soutien de la SNCF, qui profitera notamment des scènes de bombardement pour raser un terrain trop cher à détruire.
Derrière cette production qui est à la source d’autant d’anecdotes hilarantes que d’admiration au regard de la photographie, Frankenheimer crée une œuvre de mouvement mais aussi de contact : s’il n’est pas étonnant que l’équipe de tournage se servît du train qui est le personnage principal pour transporter son matériel, il est intéressant de voir que la caméra sait aussi se poser et produire le sentiment de pouvoir au milieu de la cynique hiérarchie nazie. Le toucher d’un papier ou le regard posé sur un tableau deviennent aussi important que le contraste du panache de vapeur sur l’arrière-plan, que l’éclairage soigne énormément.
Il aurait été plus facile, pour le dire sans vouloir faire de paradoxe, de faire un film qui eût été juste grand, mais il est de toutes dimensions. Seule celle du scénario peine à émerger de sa tortuosité : le train doit absolument rester en France, et pour cela on mobilise des centaines de personnes, beaucoup meurent, on fait sauter les voies, on les déboulonne, on maquille les gares, on sabote, on œuvre dans l’ombre. C’est trop : clairement, le but est de faire mumuse avec ce train, dans l’espoir que la guerre fasse taire notre sens critique, par respect pour la réalité ainsi que pour le temps passé. Mais l’histoire vraie nous sermonne aussi de son coté : le train a existé et on l’a simplement fait tourner autour de Paris en attendant l’arrivée imminente des Alliés.
C’est la réussite technique qui l’emporte, ce tournage risqué pour tout le monde où l’on n’avait droit qu’à une prise quand il s’agissait de collisionner deux vrais trains en conditions réelles. On est transporté dans les gares et dans les locomotives parce qu’il n’y a plus de frontière entre le cinéma et la réalité si ce n’est la guerre elle-même. Le plateau était si bruyant que les ”action !” et ”coupez !” étaient signalés par les sifflets des trains.
Frankenheimer était un créatif bridé ; il a remplacé Arthur Penn, sorti des voies après le premier jour, et il a su faire prévaloir son caractère afin que Le Train, ce titre si simple, devienne le nom d’une merveille du cinéma ferroviaire, à défaut d’une histoire qui tient la route. Ou plutôt les rails.
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