« Mon épitaphe est déjà composée ; Ci-gît Benjamin Rathery qui résista 99 ans à tous les crus de Bourgogne. »
Quel étrange objet que cet Oncle Benjamin, qui capitalise sur si peu et pourtant est devenu un classique parmi les classiques. Jugez plutôt : s’il a réalisé quelques films sombres (Un Témoin dans la Ville, 1959, La Mort de Belle, 1961), Edouard Molinaro est plus récemment connu alors pour deux comédies populaires avec de Funès (Oscar, 1967 et Hibernatus, 1969). Jacques Brel, quant à lui, qui participe au scénario et compose la musique avec son fidèle François Rauber, vient seulement de démarrer sa courte carrière d’acteur dans deux drames (Les Risques du Métier, Cayatte, 1967 et La Bande à Bonnot, 1968), carrière qu’il clôturera d’ailleurs avec Molinaro encore dans L’Emmerdeur (1973). L’auteur de Mon Oncle Benjamin, Claude Tillier, est un pamphlétaire assez obscur qui ne doit qu’à cette œuvre d’être passé à la postérité. Les deux autres scénaristes associés au film tomberont vite dans l’oubli.
Les interprètes, enfin, autour de Jacques Brel, ne constituent pas à proprement parler des têtes d’affiche : Claude Jade, un temps égérie de Truffaut, ne survécut pas à la fin de la Nouvelle Vague, Bernard Alane est plus connu pour ses apparitions télévisuelles, théâtre compris, et sa voix de doublage, et les autres interprètes de cette œuvre sont exclusivement des seconds rôles, dont quatre fidèles d’Audiard (Robert Dalban, Paul Frankeur, Bernard Blier et Alfred Adam).
Comment ce film est-il donc devenu culte ? Il y a tout d’abord le personnage de Benjamin. Si les « épicuriens », volages, désargentés et ivrognes sont fréquents dans les films de cape et d’épée ou les comédies en costumes, ils sont généralement nobles, pauvres souvent, ou chevaliers de plus ou moins basse extraction, volontiers guerriers. Ce n’est pas le cas de Benjamin qui soigne les gens plutôt que de les mettre à mort. Il y a ensuite le discours profond, condamnant violemment l’arbitraire et les inégalités sociales, un thème assez éternel. Enfin, il y a l’interprétation somptueuse de Jacques Brel qui, dans cette oeuvre picaresque, donne la pleine mesure de sa palette, hélas trop rare au cinéma, entouré par des acteur·trices excellent·es.
L’ensemble peut paraître grossier, parfois, on dira plutôt paillard ou grivois, mais reste dans une grande tradition française, de Rabelais à Audiard. Ajoutons enfin la caméra virevoltante de Molinaro, décidément réalisateur insaisissable dont le style est différent à presque chacune de ses réalisations.
Mon Oncle Benjamin est un chef d’oeuvre d’humour et d’aventures, le genre de film qui fait du bien par où il passe.