Je reste stupéfait par le génie de cette production. Je comprends maintenant pourquoi Lelouch passe pour aimer les acteurs et savoir les filmer. Les numéros d’anthologie s'enchaînent, avec leur rythmique propre, leur flot, leur bagou, leur personnalité bien profilée, développée dans la durée, définissant la scène en profondeur, dans une ambiance de créativité inépuisable qui coule de source, sans effort.
C'est beaucoup plus humain que les Acteurs de Blier, qui avait choisi un angle ironique artificiel en sacrifiant le scénario pour la mise en valeur des acteurs. Mais pourquoi je parle de Blier ? Ici les personnages sont de sang, d'os et de tchatche, pas de doute, ils ont tous leur personnalité propre et quoique mimétiques dans les scènes où le mimétisme est drôle, aucun d'eux n'est interchangeable !
Pour un peu, je dirais avoir reçu une piqûre de rappel ou même une démonstration de CE QU’EST LE CINEMA ! Tant de films récents négligent le génie humain, on va dire celui des acteurs ou celui du montage, d’art de l’ellipse, pour se concentrer sur des thèmes justifiés non par la vie mais par d'autres films, d'autres fictions. Lelouch, lui, semble lire dans le roman de la vie, comme on le dit grosso modo de Cantet. Est-ce pour avoir mis la barre aussi haut dans sa jeunesse que le réalisateur s’est si souvent fourvoyé dans le pathos ? Ses biographes ont peut-être la réponse. Si ce n'est une dégradation de la qualité, je ne comprends rien à cette mésestime accordée à Claude Lelouch.
J'entends parler l'italien non sous-titré, et je comprends. J'y retrouve ma latinité, perdue on ne sait comment, et je m'enchante de voir
Lino expliquer en vain à la police italienne qu'il ne connaît pas Aldo, le voleur de la voiture, qui répète comme une rengaine "io non lo conosco". Puis la scène des « cours de politique », puis celle de la photo de l’otage, celle de la roulette russe, celle des paris en jumelles, celle de la négociation avec le chef terroriste, celle où Simon affirme "je suis bilingue".
Tout. Il y a un humour, un ton, impossibles à retrouver à notre époque qui prendrait les choses au second degré. Ici, le second degré ne vient pas du regard du spectateur ou de la spectatrice, les personnages le portent en eux, audacieux, trop audacieux,
jouissant de leurs 400 coups, jusqu’à l’accident de la route d’une efficacité redoutable, la scène de la tribune acclamée et Lelouch très drôle en pape chapeauté enlevé dans une jeep sur terrain très cahoteux.
Et il y a l'époque, l’époque elle aussi filmée, le paysage urbain, les voitures, ces années 1960 françaises, quand mes parents avaient vingt ans.
Et cette musique qui vient presque à contre-courant, nous rappeler que l’aventure, c’est l’aventure, une musique qui veut dire « il se passe quelque chose ». Quoi ? si ce n’est un grand moment de cinéma.
Quant aux points négatifs, je ne les aperçois plus après avoir vu si grand. Chef-d’œuvre ? Comme mélomane, je n’emploie jamais ce terme. Je préfère dire que, en matière de divertissement, la réussite est évidente.