Richard Matheson aimait bien prendre comme héros l’archétype de l’américain établit pour lui ôter tout cadre sur lequel il puisse avoir prise. Comme dans « I am a legend », « L’homme qui rétrécit » est orphelin de ses repères car suite à un événement scientifique, il se retrouve inadapté dans un monde qui lui est chaque jour un peu plus étranger. Jack Arnold, réalisateur presque oublié de nos jours, doit la rémanence de sa notoriété vacillante à deux films : « La créature du Lagon noir » et justement « L’homme qui rétrécit ». Si le premier est surtout connu pour sa poésie et l’esquisse d’érotisme que dégage la relation entre la belle (en maillot de bain, ça aide) et le monstre, le second l’est pour ses effets spéciaux. Ce qui est à la fois juste, mais aussi très réducteur. En effet, la forme est souvent très brillante, avec les décors démesurés du quotidien et des objets qui ne le sont pas moins :
clous, épingles, allumettes, paire de ciseaux.
A cela s’ajoutent certains trucages très réussis, comme le chat s’attaquant à la maison de poupée et la tarentule
devenue monstrueuse en regard de la taille rétrécie du héros,
même si quelques incrustes sont voyantes, comme la traversée de cave au pas de course. Mais la force du film est dans ses messages. Sceptiques vis à vis de la science, Matheson et Arnold mettent en scène un homme dont tout espoir de retour à sa vie antérieure est exclu. Le mystérieux nuage n’étant jamais identifié, aucun remède ne fonctionne. Les chercheurs sont intéressés scientifiquement, mais leur attitude glaciale montre à quel point le côté humain leur est interdit. Ainsi le héros condamné va devenir nain. Médiocre, méprisé par son frère, qui n’hésitera pas à s’emparer de l’épouse sur maternelle, infantilisante et castratrice. Il s’échappera et rencontrera une jolie naine (dans le livre de Matheson ils passent la nuit ensemble, plus tard il sera violé par un homosexuel ivre, puis molesté par des teen-agers, mais la production de l’époque a refusé la réalisation de ces séquences), dont l’optimisme volontaire le rendra encore plus lucide et amer.
Mais au fur et à mesure qu’il rétrécit, l’homme civilisé, par nécessité, retourne à l’état sauvage, avant qu’une sérénité philosophique l’apaise enfin.
Matheson a constamment veillé à ce que son scénario ne trahisse pas l’esprit de son livre et accepta l’évocation du divin à la fin, dans une perspective spiritualiste au sein d’une réflexion métaphysique sur le rôle de l’homme dans l’univers. Avec jack Arnold, ils accepteront un découpage linéaire, sans flash back, mais refuseront à la production un happy end (parachuté à l’aide d’un hypothétique remède). Ainsi le réalisateur dans un dernier plan,
entre l’homme réduit à la taille d’une tête d’épingle, qui va vers l’infiniment petit et le gigantisme de la poussière étoilée d’une nuit d’été,
offre une plongée métaphysique qui précède celle du « 2001 » de Kubrik, réalisé dix ans plus tard. Assurément un très grand film.