Troisième volet de la saga "Frankenstein" des studios Universal, "Le fils de Frankenstein" est, surtout, la dernière apparition de Boris Karloff sous le maquillage du monstre. Il s’agit, également, du moins bon épisode de cette trilogie Karloff et ce, pour une raison essentielle : le changement de ton. Le réalisateur James Whale a déserté le siège du réalisateur au profit de Rowland V. Lee (à qui on doit "La Tour de Londres" toujours avec Boris Karloff et Basil Rathbone) et force est de constater que la poésie des deux premiers opus n’est plus de mise ici. Pour autant, je ne partage pas l’avis de ceux qui considèrent que le film est raté. Au contraire même, je trouve que le réalisateur, sans avoir le talent de son prédécesseur, a fait un boulot assez remarquable et a su s’approprier le sujet en renouvelant la problématique et l’approche. Le risque était grand, en effet, que ce troisième épisode ne soit qu’un prétexte à une nouvelle renaissance du monstre qui se limiterait à une succession de morts. Lee a l’intelligence de minorer l’importance de la créature (et, accessoirement, de modifier considérablement son look, bien plus rustique et massif ici), ce qui, non seulement, offre une grande valeur à chacune de ses apparitions mais, qui permet, surtout, d’accorder une place importante à un personnage passionnant, Igor campé par un Bela Lugosi en transe. Outre son incroyable maquillage (dont une excroissance osseuse saisissante), ce méchant d’anthologie brille par son machiavélisme et son jusqu’au-boutisme, magnifiés, bien évidemment par l’interprétation forcément outrancière de Lugosi. Il ne s’agit pas du seul personnage mémorable puisqu’on retrouve, également, un Basil Rathbone tout en élégance naturelle qui parvient à faire ressentir l’obsession du fils du Baron Frankenstein qui veut réhabiliter l’honneur de son père, haï de tous (l’acteur ne parvient cependant pas à faire oublier la prestation fiévreuse de Colin Clive). Il ne faut pas non plus oublier le formidable Lionel Atwill, surprenant de subtilité dans ce rôle de policier amputé dans sa jeunesse par le monstre (le jeu avec son bras mécanique est une merveille) mais désireux de maintenir l'ordre en protégeant le fils de son créateur de la haine de la population. Quant à Boris Karloff, il se montre, une fois, encore incroyable et parvient à retranscrire toute la détresse de ce monstre, victime de la folie des hommes
(la scène avec le miroir est très émouvante)
. Peut-être pourra-t-on néanmoins lui reprocher d'avoir rendu le monstre trop "malin"
(voir les scènes où il brouille les pistes après avoir tué les derniers jurés ayant condamné Igor, pour faire croire à des morts "naturelles").
Le scénario est, également, une bonne surprise puisque, non seulement, cet épisode parvient à justifier (presque de façon crédible) la nouvelle résurrection du Monstre
(en jouant sur ses capacités surhumaines, constatées médicalement)
mais, surtout, il traite d’une problématique différente des deux premier opus. Ainsi, alors que "Frankenstein" traitait des limites de l’éthique médicale (et de la responsabilité du créateur sur sa création) et "La fiancée de Frankenstein" de la solitude du monstre, "Le fils de Frankenstein" évoque le poids du passé et de l’avilissement des enfants du fait des actes des "parents" (métaphore qui s’applique, également, à la relation entre Igor et le monstre). Quant à la réalisation, elle est, certes, moins poétique mais elle réserve quelques scènes formidables au pouvoir d’évocation terrifiant
(le policier qui raconte son amputation lorsqu’il était enfant, la découverte de l’évasion du monstre à travers le récit innocent du gamin…).
C’est peut-être la principale différence entre Whale et Lee : le premier aimait montrer, y compris des scènes difficiles (voir la terrible noyade de la petite fille dans le premier opus) alors que le second parvient à démontrer qu’un récit peut être plus effrayant que les images. "Le fils de Frankenstein" mérite, donc, d’être réhabilité tant il propose quelque chose de différent de James Whale. Et puis, le baroud d’honneur de Boris Karloff ne peut pas se louper…