Quel plaisir, effectivement! Jamais Maupassant n'a été aussi bien servi au cinéma. C'est lumineux, c'est vivant, c'est gai, c'est ironique sans jamais être cynique, ça peint la comédie sociale et les drames de la vie avec une légèreté, mais aussi une lucidité, inouïes... Et c'est une telle débauche de talent ! La première scène donne le ton, avec un bal étourdissant, d'une énergie folle, où la caméra d'Ophüls emporte tout le monde dans un tourbillon vertigineux - pour mieux nous faire échouer dans l'appartement sordide d'un vieux danseur masqué, ramené chez lui après un malaise par un docteur noceur. Image pathétique d'un séducteur qui refuse d'admettre que la roue a tourné. Ca continue avec "La maison Tellier", géniale épopée d'une troupe de prostituées partant assister à la première communion de la nièce de leur patronne. Là encore, virtuosité hallucinante du réalisateur quand il s'agit de filmer l'intérieur de la maison close avec une caméra qui n'en franchit jamais les portes, ou quand il filme le train ou la charrette qui emportent ces dames - quel usage du travelling! Humour dévastateur quand Ophüls brosse le portrait des clients déçus que leur établissement favori soit fermé pour un soir. Génie de sa direction d'acteurs, quand il orchestre les échanges hauts en couleur de la troupe composée de Danielle Darrieux, Mila Prely, Paulette Dubost et Ginette Leclerc, cornaquées par la géniale Madeleine Renaud, avec les apparitions de Gabin et (surtout) Pierre Brasseur. La scène dans l'église est un sommet absolu, un concentré d'esprit Maupassant: on ne sait pas si on doit fondre en larmes avec l'ensemble des paroissiens bouleversés, ou hurler de rire devant le ridicule de la situation. Et si la dernière histoire, centrée sur le couple Daniel Gélin / Simone Simon, est un ton en dessous, on remarque quand même que son dernier plan sera imité presque à l'identique par Dino Risi en clôture de son film "Les monstres", dix ans plus tard. Transition entre le cinéma expressionniste allemand d'avant-guerre, le réalisme poétique français de l'immédiat après-guerre et la féroce comédie italienne des années 60, "Le Plaisir" est une oeuvre intemporelle, qui n'a pas fini de régaler des générations de cinéphiles.